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il n’y a pas plus de foi qu’aux personnes ; c’est une sorte de découragement et de dédain qui s’applique à tout et à tous ; dix ans passés dans la contrainte et la dissimulation l’ont accoutumé à ne pas aimer ce qu’il fait et à ne pas tenir à ce qu’il pense.

« C’est ce caractère qui se retrouve dans ses relations avec la France. Il a la plus sincère envie d’être en paix avec nous ; l’idée de la guerre l’épouvante avec raison, il y voit péril d’invasion et de révolution. Certaines idées d’agrandissement de ses états, de royaume d’Italie, ont occupé son imagination, et, quoique moins vives, elles ne sont pas dissipées ; elles ne peuvent devenir des espérances qu’en s’appuyant de notre amitié ; il a passé sa première jeunesse en France, il y est connu, il voudrait y avoir bonne et grande renommée ; ce qui se fait chez nous fixe toute son attention ; c’est presque son premier intérêt. En même temps il garde une visible rancune de la révolution de juillet ; c’est à ses yeux un affront et un danger pour les races royales ; il vit dans la crainte non-seulement de la propagande, mais des idées libérales ; nos journaux et notre tribune lui déplaisent et l’irritent. Ne pas nous heurter, ne pas risquer une brouillerie avec nous, et se dérober à toute démonstration de bonne intelligence qui ne serait pas indispensable, voilà la combinaison, plus involontaire que calculée, de sa politique de souverain avec ses impressions personnelles. Ajoutez à cela un excessif amour-propre de souveraineté et la crainte de ne pas être un roi comme un autre, d’être traité en puissance d’ordre inférieur. »

Il est impossible de démêler avec plus de pénétration et de peindre avec plus de vérité l’esprit compliqué et le caractère flottant de ce prince, voué d’abord à une immobilité obstinée, quoique sceptique, saisi plus tard, quand l’occasion lui sembla favorable, d’une vaste ambition, glorieux dans la lutte et jusque dans la défaite, et fuyant tout à coup le trône et le monde pour aller cacher et finir dans un cloître lointain une vie pleine de langueurs, d’élans, de découragemens et de mécomptes. M. de Barante assista de près pendant quatre ans au spectacle de cette âme troublée et des penchans si divers qui s’y laissaient dès lors entrevoir, et pendant quatre ans il maintint, en face de ce spectacle, la politique de la France, compliquée aussi, mais franche et conséquente, sans jamais la laisser faiblir et sans l’engager au-delà des intentions hautement déclarées du gouvernement français. Nul n’était plus propre que lui à cette mission d’observation et de conversation plutôt que d’action ; il la comprenait aussi nettement qu’il la pratiquait, et n’avait aucune envie remuante ou vaniteuse de la dépasser. Je trouve, sous la date du 21 mars 1832, au moment où la question des réformes à apporter dans les états romains se débattait entre la cour de Rome et les