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grandes puissances européennes, une lettre de lui au général Sébastiani ainsi conçue : « Je me proposais depuis quelque temps de faire part à votre excellence de l’opinion où j’étais qu’il était impossible de suivre à Rome, et au siège même du gouvernement pontifical, une négociation dont le résultat fût efficace. M. de Sainte-Aulaire me fait connaître que tel est aussi son avis, et que depuis longtemps il en a entretenu votre excellence. Les motifs qu’il a dû vous présenter sont, sans nul doute, d’un tout autre poids que ceux que j’aurais donnés, il voit par lui-même ce que je puis seulement conjecturer ; mais M. de Sainte-Aulaire ajoute qu’il a désigné à votre excellence Turin ou Florence comme des lieux où pourrait se suivre avantageusement une négociation relative aux affaires du gouvernement pontifical. Sur ce point, je ne partage pas son opinion. Florence et même Turin sont encore trop rapprochés de l’influence du sacré-collège ; l’esprit qui anime en ce moment la plupart des cardinaux, et qui forme la plus grande difficulté de la négociation, se ferait sentir dans toute ville d’Italie ; le parti qui se rattache à l’oligarchie de l’église romaine réussit facilement à présenter cette question de politique et d’administration comme une question de religion. Avoir contre soi l’opinion de la cour chez laquelle on aurait fixé le lieu de la négociation, placer les membres de la conférence au milieu d’une société hostilement disposée contre le résultat qu’on voudrait atteindre ne me semblerait pas une combinaison heureuse. J’ajouterai, s’il s’agissait de Turin, qu’il ne s’y trouve pas un corps diplomatique composé de manière à bien traiter une si grande affaire : j’ignore si votre excellence me jugerait suffisant pour une pareille mission, mais je ne vois pas que les ministres des autres puissances près la cour de Sardaigne aient assez de capacité ou d’importance pour en être chargés : il y faut évidemment des hommes d’un esprit à la fois éclairé, libre et ferme. En outre il est indispensable qu’ils aient beaucoup de poids et d’autorité auprès des cabinets que chacun aurait charge de représenter.

« Je pense que la négociation se suivrait beaucoup mieux à Paris que nulle part ailleurs ; seulement il faudrait y faire arriver beaucoup d’informations locales, s’entourer de toutes les lumières nécessaires, et prononcer sur toutes les questions avec une connaissance complète de l’état de l’Italie. »

On ne rencontre guère dans les fonctions publiques, même chez les plus honnêtes gens, un tel dégagement de toute prétention ou vanité personnelle, et une si sérieuse préoccupation du fond même des choses et des chances de succès.

En septembre 1835, le duc de Broglie, rentré depuis peu au ministère des affaires étrangères, eut à faire un assez grand