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décousus, après chaque phrase il faisait une pause ; mais ce décousu ne manquait pas de suite, le sens était clair.

— J’en fais juge le premier venu, disait-il. Qui de nous deux lui ressemble le plus ?… M’avait-on consulté ? Avais-je demandé à naître ?… Que devait-il être pour moi ? La nature répond : tout ; la société : rien… Maroufle, de quoi te plains-tu ? Cela n’est-il pas dans l’ordre ? Tu es animé d’un mauvais esprit… les mauvaises passions !.. Et moi je vous dis : La nature, c’est Dieu. Qui donc inventa la société ? La race des Patru, engeance immortelle, qui boit l’iniquité comme de l’eau… Dans leurs momens perdus, ils riment gaillardement des épithalames… Leurs lois, leur code ! magnifique invention. La société se barricadant contre la justice, — voilà le code. Parce qu’ils ont réduit l’injustice en système, ils se frottent les mains ; la logique est contente, et les intéressés sautent de joie… Eh quoi ! brave homme ? il te prend un remords, tu voudrais reconnaître ton fils ! impossible, regarde au titre ‘II, article 335… Après tout, le mal n’est pas grand. Pochon n’est-il pas là ? C’est Patru qui inventa Pochon. Il est si inventif, ce robin ! Pochon est un digne homme ; l’enfant grandira sous son aile. L’heureux petit drôle ! logé, nourri, habillé de vert… Faut-il à monsieur des ortolans ? … Et si le clampin, en grandissant, allait se douter que Pochon n’est pas son père ? On y a pourvu. Article 340 : la recherche de la paternité est interdite. Ce sont les intérêts qui ont fait le code, ils se trouvent là comme rats en paille… Tempêtes de la justice divine, quand sera-ce votre jour ? quand viendrez-vous balayer toute cette ordure ?

— Que ne me parlez-vous ? fit Didier, qui s’était assis. Je vous répondrais.

— Je n’ai cure de vos réponses. Je sais ce que disent les privilégiés : ne touchez pas à l’arche du Seigneur !

— Figurez-vous que je ne crois guère à mes droits. Les choses sont ainsi, nous ne les changerons pas. En attendant mieux, acceptons la société telle qu’elle est. Mon privilége est un fait, avec lequel je voudrais vous réconcilier. Voilà tout… Etes-vous en état de m’entendre ? Le frère se souvient des promesses faites à l’ami. Vous vous étiez engagé, si je ne me trompe, à venir achever ici votre drame. Remplissez votre engagement, après quoi nous causerons, et je vous jure que, si vous êtes raisonnable, vous serez content de moi.

— Il n’y a qu’un mot qui serve ! s’écria Prosper en se levant. Avez-vous le sentiment du juste et de l’injuste ? Oui ou non, reconnaissez-vous mes droits ?

— Comment les reconnaîtrais-je, si les miens me semblent douteux ? … Mon pauvre ami, ajouta-t-il, vous n’auriez qu’un mot à dire,