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avoir remué bien des passions et desséché pour longtemps dans sa source une partie de la richesse manufacturière du Lancashire. Au milieu de ces ébranlemens des deux mondes, la Grande-Bretagne avait maintenu une parfaite neutralité dont, vis-à-vis de l’Allemagne du moins, s’indignait tout bas l’honneur national. A l’intérieur, le pays était calme ; le parti libéral tenait depuis six ans le pouvoir, et, grâce à l’habileté du premier ministre, il le portait d’une main légère. Le caractère conciliant de lord Palmerston, son grand âge, sa vaste expérience, servie par un admirable esprit d’à-propos, tout avait contribué à amener entre les whigs et les tories une de ces trêves qui ne sauraient durer bien longtemps dans la vie d’un peuple libre. En Angleterre, les opinions peuvent quelquefois se rapprocher, mais elles ne désarment jamais. L’art avec lequel lord Palmerston se soutenait à la tête du gouvernement tenait d’ailleurs moins à sa grande habitude de manier les hommes et les affaires qu’à une certaine souplesse de caractère et à une élasticité de principes recouvertes par un air de belle humeur et de bravoure. Il évitait les questions dangereuses, et en fin navigateur tenait beaucoup plus à doubler le cap des tempêtes qu’à y aborder franchement. Assez conservateur pour certains tories, assez libéral pour beaucoup de whigs, il dominait les deux camps par sa prudence. Son véritable secret pour ne point attirer la foudre sur le drapeau que représentait son administration était d’en effacer les couleurs. Aussi tout le monde prévoyait-il le moment où, ce modérateur venant à manquer, la lutte éclaterait entre les élémens que sa présence pacifiait d’un regard ou d’un bon mot. Les élections qui devaient avoir lieu après la dissolution de la chambre (6 juillet 1865) préoccupaient donc très sérieusement l’Angleterre. Radicaux, libéraux et tories allaient se rencontrer sur un champ de bataille où il était non moins curieux qu’instructif de les suivre et de les observer.

Ces élections devaient se faire sous la loi de 1832. Tout le monde rend aujourd’hui justice à ce premier reform bill ; même ceux qui le combattaient alors sont bien forcés de reconnaître que cette grande mesure a régénéré les sources de l’autorité parlementaire. L’Angleterre lui doit le gouvernement de ces trente, dernières années, qui a élevé si haut le caractère et la prospérité de la nation ; elle lui doit une chambre des communes qui a supprimé les lois injustes sur les céréales et sur la navigation, établi le libre échange, réduit à un denier les frais de poste pour toutes les lettres dans l’intérieur du royaume-uni, et renoncé à exercer l’autorité de la métropole sur les colonies. Quoique les auteurs de ce premier reform act aient touché d’une main beaucoup trop timide à un ancien