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système de corruption, ils ont du moins réussi à corriger plusieurs abus. Qu’on en juge par un fait. Où trouver ailleurs que dans les romans du passé les scènes dont tout le monde reconnaissait, il y a trente ans, la vérité en lisant Pickwick papers ? Que sont devenus ces bandes d’agens, de messagers, de porte-drapeau, de musiciens et de boxeurs recevant un salaire proportionné à leurs services ? Que reste-t-il de ces tables toujours pleines où fumaient les viandes rôties, où coulait le vin, et devant lesquelles chaque électeur venait s’asseoir aux frais de son candidat ? Qui entend aujourd’hui parler d’adversaires enlevés de vive force, enivrés ou tenus sous clé pour les écarter du théâtre de la lutte et de la liste des votans ? Tout cela, Dieu merci, s’est évanoui sous l’exercice de la loi à laquelle lord John Russell et lord Grey ont attaché leur nom. Ce que nous avons à décrire est moins excentrique et moins attrayant comme peinture de mœurs, quoique beaucoup plus digne à coup sûr de la liberté d’un grand peuple.

Conformément à l’usage, un mandat de la reine, warrant, ordonnait en 1865 au lord chancelier de préparer les lettres de convocation, writs, et de les envoyer à leur adresse. Dans chaque collège électoral se trouve un magistrat connu sous le nom de returning-officer et chargé de veiller à l’exercice d’un des premiers droits constitutionnels. Dans les comtés, ce magistrat est le sheriff ; dans les cités et les boroughs, les mêmes fonctions se trouvent remplies par le maire, le bailli ou tout autre officier civil nommé pour la circonstance. C’est naturellement à ce returning-officer que fait écrire le lord chancelier d’Angleterre. Les élections doivent avoir lieu dans les boroughs six jours et dans les comtés douze jours au plus après la réception de pareilles lettres. Au sein de la plupart des villes et même dans beaucoup de campagnes, l’agitation a d’ailleurs devancé de plusieurs semaines, sinon de quelques mois, le signal officiel de la lutte. Les partis ont déjà fait leur choix : d’un camp à l’autre, les batteries sont dressées et les combattans tiennent l’œil fixé sur leurs pièces. Comment les Anglais ne seraient-ils point préparés de longue main à ce grand acte de la vie publique ? Les bourgs, les paroisses, les hundreds, les comtés n’ont-ils point contracté l’habitude de se gouverner eux-mêmes ? N’élisent-ils point dans le cours de l’année et sans aucune intervention de l’état la plupart de leurs magistrats civils ? La volonté du peuple est ici la source de presque tous les pouvoirs administratifs ; aussi la discussion entre-t-elle pour beaucoup dans les rapports des citoyens entre eux. Il serait bien difficile de saisir le caractère des manœuvres électorales à quiconque ne connaîtrait d’abord les moyens d’éducation politique dont dispose à son gré tout habitant de la Grande-Bretagne.