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que le pasteur Goetze. Il aimait les livres, possédait une superbe collection de bibles, se connaissait en numismatique. Durant le séjour de trois ans que fit Lessing à Hambourg, les deux futurs adversaires s’étaient vus et ne s’étaient point déplu. Lessing aimait à causer d’éditions avec Goetze, et, s’il faut en croire la chronique, il fêtait aussi son vin du Rhin. De son côté, Goetze faisait grand état des talens de Lessing ; il admirait surtout ses factions contre Klotz et son traité sur la manière dont les anciens ont représenté la mort.

« M. le premier pasteur, écrivait un contemporain, a deux visages. Dans l’habitude de la vie, il est poli, il a le ton d’un homme du monde. Explique qui pourra ce phénomène ! L’homme est courtois, honnête ; ses écrits sont malins, injurieux et offensans. Ses lèvres distillent le miel, sa plume le fiel le plus noir. » Le phénomène n’est pas rare. Je suis sûr que M. Fontanès a connu des Goetze, il en est dans toutes les confessions ; des bords de l’Elbe jusqu’aux bords de la Loire, cette espèce est fort répandue. Que ne peut l’esprit de domination ? Les Goetze ont la manie d’être obéis, toute résistance les fait sortir des gonds. Ces gens-là sont admirables dans une école ou dans un petit séminaire : il n’est pas mal que la jeunesse soit menée à la baguette ; mais, par je ne sais quel esprit de vertige et d’erreur, ils prennent un beau jour leur férule pour un sceptre, et les voilà qui citent les rois à leur barre, décrètent contre les ministres, aspirent à réglementer l’univers… L’univers, qui ne fait qu’en rire, gratte le prélat et trouve le cuistre. Melchior Goetze eut plus d’une fois maille à partir avec le sénat de Hambourg, avec les ambassadeurs, avec les princes étrangers ; il adressait des représentations au conseil aulique de l’empire, gourmandait sa mollesse à poursuivre l’hérésie. Ce bonhomme était brouillon, tracassier. Un prétendu Français en voyage, qui n’était autre que l’Allemand Gaspard Riesbeck, écrivait en 1783 : « Le premier pasteur tonne avec la même violence contre la corruption des mœurs et contre le pape. Ennemi juré de tous les plaisirs publics à ce point d’avoir plus d’indulgence pour les secrètes parties de plaisir que dérobent aux regards des courtines de lit, le théâtre lui est en abomination. » Il avait un merveilleux talent pour découvrir dans un livre des propositions suspectes, malsonnantes, téméraires et sentant l’hérésie. Le nez au vent, il flairait de loin l’hérétique, comme le chien flaire la bête fauve ; une fois l’animal lancé, il ne le lâchait plus, le pourchassait, le traquait. Ses réquisitoires ne manquaient pas de vigueur, et il trouvait quelquefois le joint des choses et des hommes ; mais il abondait en invectives et en diatribes, il était, pour parler avec Voltaire, « de la race des colériques argumentans. »