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Ce fougueux luthérien rompit des lances avec tous les rationalistes de son temps, avec les Semler, avec les Bahrdt, avec les rédacteurs de la Bibliothèque universelle, avec les catholiques, avec les réformés, avec les journalistes, qu’il accusait de ne rien respecter, avec l’honnête Basedow, qui, admirateur de Rousseau et de l’Emile y proposait quelques nouveautés en matière d’éducation. Goetze le remit à sa place ; il entendait que la jeunesse fût élevée sur les genoux de l’église. Ses confrères n’étaient pas à l’abri de ses fulminations et de ses monitoires. Il en coûta cher au pasteur Schlosser pour avoir composé quelques comédies. Goetze le traîna sur la claie. Lessing, interrogé sur ce qu’il pensait de ce grand débat, répondit : « Distinguons. Est-il permis à un prédicateur de faire des comédies ? Pourquoi pas, s’il le peut ? Est-il permis à un auteur comique de faire des sermons ? Pourquoi pas, s’il le veut ? » Une autre affaire fit esclandre à Hambourg. La liturgie de ce temps était bardée d’anathèmes. L’un des collègues de Goetze, le pasteur Alberti, se permit, en la lisant, de supprimer le verset du psaume d’Asaph : « O Éternel, répands ta colère sur les nations qui ne te connaissent point et sur les royaumes qui n’invoquent point ton nom ! » Goetze ameuta contre le délinquant la ville et les faubourgs, il fallut que le sénat intervînt. Le premier pasteur n’entendait pas plaisanterie sur l’article des malédictions. Un autre fois, le sénat, soit politique, soit tolérance, voulut rayer du livre des prières un anathème contre le pape et les cardinaux. Goetze se rebiffa, il maudit et remaudit le pape. Le sénat se fâcha, menaça de lui ôter sa prébende. Cette menace le calma, il se rendit ; mais, le naturel l’emportant, quelques années plus tard, il reprit le saint-père à partie : l’envoyé impérial porta plainte, et Goetze dut faire amende honorable. Tout cela n’empêchait pas que Melchior Goetze ne fût un homme de bien, et à ses heures un homme aimable et de bonne compagnie : il avait de la lecture, savait le grec, n’eût pas été déplacé dans une académie hambourgeoise, si toutefois il avait su s’y tenir modestement à son rang ; mais il aimait trop le bruit, c’est ce qui l’a perdu. J’ai lu je ne sais où que le bruit est un usurier qui prête à gros intérêts à la réputation et qui finit toujours par la ruiner. Le voyageur français écrivait : « Quoique Melchior Goetze ait été sifflé cent fois, et que depuis douze ou quinze ans il soit le plastron de toute l’Allemagne protestante et de ses confrères de Hambourg eux-mêmes, son saint zèle ne se peut refroidir. » Cet honnête homme avait en lui de l’alguazil et du pasquin. Son histoire devrait être méditée par tous les Goetze d’aujourd’hui, par tous ceux que possède la rabies theologica. Les dénonciations et les monitoires s’usent à la longue, et les dénonciateurs tombent dans