Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

son effet en Allemagne. À l’exemple de la plupart des saints, il ne méprisait pas les petits moyens. En terminant ses études à Schulpforte, il eut l’occasion de prononcer en public une harangue latine, dans laquelle il mettait aux nues la poésie religieuse et Milton. — « Quand aurons-nous un Milton allemand ? s’écriait-il dans sa péroraison ?… Quand le verrons-nous de nos yeux ce poète prédestiné qui dotera son pays d’une gloire impérissable ? Hâte-toi de luire, jour sacré qui dois enfanter ce prodige ! Qu’il grandisse, cet homme digne de l’immortalité et des délices célestes dont ses vers donneront l’avant-goût ! » Quand il prononça ce discours, Klopstock, sans que personne s’en doutât, avait sur le métier et peut-être dans sa poche le manuscrit ébauché de la Messiade. C’est ainsi qu’il préparait de loin sa gloire. Goethe nous l’a peint après le triomphe, avec ses affectations, ses vanités mystiques, portant sa tête avec respect et prenant de sa personne un soin religieux. Il se regardait comme un être à part et sacré, comme un vase d’élection. Il avait pénétré parmi les archanges et les trônes, il en savait les nouvelles ; un jour l’homme-Dieu le remercierait face à face de la, splendide réclame qu’il avait faite à son église. Attachant une extrême importance à ses moindres démarches comme à des affaires d’état, le maintien toujours digne, compassé dans ses discours, il s’appliquait, selon le mot de Goethe, à donner à sa vie une certaine tournure diplomatique et ministérielle. Et n’était-il pas en effet un ambassadeur, un envoyé plénipotentiaire du ciel, pour lequel il délivrait des passeports ? Ses jeux mêmes, ses plaisanteries, tout se ressentait de son rôle ; on eût dit les condescendances d’un pontife. Dans sa vieillesse, il fut tourmenté par le regret d’avoir consacré les prémices de son cœur à une jeune personne qui depuis s’était mariée avec un autre, sans qu’il pût savoir si elle l’avait réellement aimé et si elle était vraiment digne de lui. Il craignait d’avoir dérogé et que Dieu ne lui en voulût. En revanche, sa Meta, morte avant l’âge, lui avait laissé l’âme satisfaite ; la pureté de leurs sentimens réciproques, leur courte union, son refus de convoler après l'avoir perdue, tout dans cet innocent roman était, dit Goethe, de nature à ce qu’il s’en pût souvenir un jour avec plaisir dans le cercle des bienheureux, — ce qui ne l’empêcha pas toutefois de se remarier à soixante-huit ans. Le respect qu’il s’était voué à lui-même s’accroissait encore des faveurs que lui prodiguaient les grands, de l’amitié dont l’honorait un ministre, le comte de Bernstorf, de la pension que lui servait le roi de Danemark, Frédéric V. Cette pension lui paraissait un argument solide en faveur de sa mission ; la terre ratifiait le choix du ciel.

Lessing, l’homme du parfait naturel, a décoché à l’auteur de la