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même deux personnes. L’assemblée est plus générale, si les deux membres dont se compose la société sont présens, que ne le serait une réunion de cinquante associés sur cent. Quant au conseil de surveillance, une association de deux personnes n’en a pas besoin.

La division du capital en actions était également réglementée. Si le total ne dépassait pas 200,000 francs, la coupure pouvait descendre jusqu’à 100 francs ; mais au-dessus de 200,000 francs l’action devait être d’au moins 500 francs. Enfin le capital d’une société à responsabilité limitée ne pouvait pas dépasser 20 millions. Pour aller au-delà, il aurait fallu demander l’autorisation du conseil d’état. On entendait ainsi protéger les petites bourses contre les entreprises hasardées. En grossissant la somme, on espérait que l’épargne de l’ouvrier ne pourrait pas être pompée, et que les sociétés à responsabilité limitée n’auraient d’affaires qu’avec des personnes capables de se conduire et de traiter en connaissance de cause. La précaution était vaine. L’expérience avait démontré qu’à la caisse d’épargne beaucoup de dépôts appartenant à des gens de service s’élevaient au-dessus de 200 francs, et atteignaient même le maximum de 1,000 francs. Les obligations et actions des chemins de fer n’étaient-elles pas pour un très gros chiffre entre les mains d’ouvriers économes ? De quoi servait-il de limiter les coupures à 100, même à 500 francs ? Ce qui était tout à fait bizarre, c’était la limitation du capital total à 20 millions. Par quelle transformation secrète une affaire qui n’offrait aucun danger jusqu’à 20 millions devenait-elle dangereuse dès que cette somme était dépassée ? Le chiffre de 20 millions était-il donc une sorte d’équateur du monde financier après lequel tout changeait dans l’atmosphère industrielle ? Nous n’avons jamais lu cette disposition sans nous rappeler la vieille explication de l’ascension barométrique. La nature, disaient les physiciens avant Toricelli et Galilée, a horreur du vide jusqu’à 32 pieds. Est-ce que, par une tendance analogue, le législateur n’avait horreur de l’anonymat libre qu’au-dessus de 20 millions ?

Les entraves du code de commerce, l’altération de la commandite pour éviter la permission administrative, les difficultés de l’autorisation préalable pour constituer une société anonyme, les rigueurs outrées de la loi du 17 juillet 1856 sur les sociétés en commandite par actions, les limitations arbitraires, pour ne pas dire étranges, de la loi du 23 mai 1863, c’étaient autant de raisons qui demandaient un remaniement de la législation sur les sociétés. Un fait nouveau, qui ne pouvait rentrer dans aucune des clauses de la loi, rendait ce besoin plus impérieux encore : c’était la coopération. Elle avait déjà pris une extension considérable à l’étranger, notamment en Angleterre et en Allemagne, et dans ces dernières années elle était devenue chez nous un fait social assez important