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Bernard les brèches de son vieux castel ; il y avait organisé une troupe d’environ quarante hommes sous le nom significatif de régiment de la liberté. Afin de se procurer un arsenal, il avait pris à sa solde le taillandier de son village, chargé de fabriquer des baïonnettes, et quelques livres de poudre de chasse formaient le fonds de ses munitions de guerre. Le vicomte et le chevalier de Rohan-Pouldu, d’une branche cadette de la maison de Rohan, dont le grand nom relevait la modeste fortune, avaient amassé dans leur manoir un certain nombre de fusils rouilles et de vieilles arquebuses. Cet exemple avait été suivi par divers gentilshommes qui croyaient possible, en dépit de Vauban, de se défendre derrière les fortifications du moyen âge contre des régimens de ligne servis par une bonne artillerie.

La place principale de l’insurrection était le château de Pontcallec, situé dans le diocèse de Vannes, au centre d’un pays sauvage qu’aucune route n’avait encore ouvert. Ce château était protégé d’un côté par un grand étang, de l’autre par une forêt de trois lieues d’étendue, dont les fourrés formaient des retraites impénétrables. Le propriétaire de ce manoir était Clément-Chrysogone de Guer, marquis de Pontcallec. Après avoir servi dix ans, il avait quitté l’armée par suite d’embarras d’argent. Il était parvenu à l’âge mûr[1] en conservant toutes les ardeurs de la jeunesse, et vivait dans sa terre à la tête d’une fortune considérable, mais très obérée. Toujours ouverte à ses amis et à ses voisins, sa maison était dans cette partie reculée de la Bretagne le centre des grandes chasses, des rendez-vous bruyans et des réunions politiques provoquées depuis trois ans par l’état agité du pays. Il y vivait en horreur à ses vassaux pour sa dureté selon ses accusateurs, adoré des populations selon le chant populaire consacré à la glorification de sa mémoire. Après le départ pour l’Espagne de MM. de Mellac et de Lambilly, premiers promoteurs de l’insurrection, M. de Pontcallec y joua le rôle principal. Conduit jusqu’aux résolutions extrêmes par la hardiesse de son esprit et les embarras de sa position, il accepta tous les périls d’un tel rôle avec une présomptueuse légèreté. Par l’éclat bruyant qu’il donnait à des mesures de défense sans portée sérieuse, il suscita chez les agens du pouvoir beaucoup plus d’inquiétudes qu’il n’était en mesure de leur créer de difficultés.

Le château de Pontcallec et les mesures de défense dont le bruit remplissait toute la province étaient à Rennes, chez le maréchal et

  1. Dans tous ses interrogatoires, le marquis de Pontcallec se donne quarante ans. C’est sans doute parce qu’il n’a pas connu ces pièces que M. de La Borderie, d’ordinaire si bien informé, maintient qu’il était âgé de trente ans tout au plus. Je dois la communication intégrale de cette procédure à la bienveillance de M. Arthur de Boislisle, sous-bibliothécaire du ministère des finances.