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chez l’intendant, l’objet des plus constantes préoccupations. On hésitait à engager des troupes dans ce lieu réputé inaccessible, qu’on disait défendu par une multitude de paysans en armes. Ce château était en effet gardé; mais la garnison ne s’éleva jamais à plus de soixante hommes d’après les déclarations de M. de Pontcallec devant la chambre de justice, à plus de cent quarante d’après celles de M. de Montlouis, si malheureusement associé, avec MM. du Couëdic et Le Moyne de Talhouët, au commandement de cette étrange armée. Deux cents fusils, autant de baïonnettes et quelques barils de poudre mal fabriquée, tels furent en effet les seuls trophées des vainqueurs lorsqu’on se décida à pénétrer dans cet antre redouté, qui ne fut pas même défendu, parce qu’en effet toute défense aurait été impossible. On s’était donné la satisfaction puérile de monter durant quelques mois la garde sur les remparts et de faire retentir du son du cor ces lointaines solitudes. La seule mesure de sûreté que prirent M. de Pontcallec et les amis qu’il associa si tristement à son sort, ce fut de quitter le château pour aller coucher chaque nuit dans des fourrés où des troupes de ligne ne pouvaient songer à les atteindre. On ne pénétrait au Pontcallec qu’avec un mot d’ordre; une langue pittoresque fut créée pour caractériser les incidens de cette vie d’aventures ; quiconque se faisait affilier entrait en forêt, et chaque affilié prenait un nom de guerre. Cette conjuration fut une sorte de chouannerie manquée : la parodie précéda le drame au lieu de le suivre.

L’agitation, presque exclusivement concentrée entre les membres des états, n’avait pas atteint les populations rurales. Les chefs du mouvement, attendant toujours les Espagnols, n’arrivaient donc à rien organiser, quoique cette impossibilité ne leur ouvrît pas les yeux sur leur impuissance. En vain les commissaires nommés dans l’assemblée de Lanvaux s’abouchèrent-ils avec la noblesse, dont la plus grande partie ignorait l’accord secret passé avec le gouvernement espagnol; en vain les piastres d’Espagne furent-elles distribuées à trois ou quatre gentilshommes besoigneux; quelques milliers de francs remis pour acheter des armes et subventionner des recrues à MM. de Montlouis, Le Moyne de Talhouët et du Couëdic ne servirent qu’à provoquer la condamnation de ces malheureux. Chaque jour enfantait un projet nouveau, et ces folles tentatives n’amenaient jamais que d’amères déceptions. Le seul parti qui restât à prendre dans l’impossibilité manifeste où se trouvaient les conjurés de soulever le pays, c’était d’attendre les Espagnols, qui eux-mêmes attendaient les Bretons. Une flotte de sept vaisseaux portant trois mille hommes de débarquement avait été préparée à la Corogne sur la vive instance de M. de Lambilly, qui promettait une réception enthousiaste. Le départ de cette flotte eut lieu dans