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quand le chemin qui déjà en ce moment aborde les Montagnes-Rocheuses aura réuni non-seulement par une ligne ferrée, mais par une ligne ininterrompue de bourgs et de comtés les états du Pacifique et ceux de l’Atlantique, permettant ainsi au jeune colosse d’étendre un bras vers l’Europe et l’autre vers l’Asie? L’annexion du Mexique, des petites républiques de l’Amérique centrale et même de toutes celles de l’Amérique du Sud n’est qu’une question de temps.

Mais la grande république ne se divisera-t-elle point? Maintenant que la principale cause de scission, l’esclavage, a disparu, d’ici à longtemps un semblable événement n’est pas à prévoir. Le système fédératif, tant qu’il respecte l’autonomie des états particuliers, impose à ceux-ci peu d’inconvéniens, et leur vaut d’immenses avantages. La dette éteinte, les contributions seront réduites à presque rien, comme avant la guerre. Les États-Unis ne font pas la folie de se ruiner en temps de paix pour entretenir d’innombrables bataillons. Ils ont à peine 50,000 hommes sous les armes, et on parle même d’en réduire encore le nombre. Si l’Union vend ses monitors, c’est qu’elle sait bien qu’au bout de deux ou trois ans les vaisseaux construits aujourd’hui devront être mis au rebut. Au jour de la lutte, elle fera son apparition avec quelque engin nouveau et perfectionné qui laissera en arrière tous les autres. Le lien le plus fort de la fédération, c’est l’orgueil national poussé jusqu’à la manie et la foi en l’avenir glorieux de la patrie. Le citoyen du nord aurait tout sacrifié plutôt que de permettre qu’une étoile fût enlevée par la sécession de la bannière constellée. Le défaut de l’Américain, c’est le culte, l’idolâtrie du dollar; mais, s’il aime l’argent, ce n’est pas pour le dépenser, encore moins pour l’enfouir stupidement dans un coffre-fort, ce n’est pas même pour le laisser à ses enfans, car il ne tient pas, comme les pères d’Europe, à transmettre à ses héritiers le droit de bien vivre sans rien faire. Ces dollars si âprement gagnés, il les perd avec indifférence et les donne dans un intérêt public avec une générosité inconnue ailleurs. Qu’est-ce donc qui le pousse? On dirait que c’est le besoin d’agir et de conquérir par le travail cet immense territoire qui ouvre à son activité des solitudes fertiles et inexploitées; c’est comme un instinct providentiel qui l’excite à remplir sa tâche, la mise en valeur du Nouveau-Monde. Voulez-vous connaître le caractère américain dans un de ses types les plus nobles, lisez la biographie d’Elias Howe, l’inventeur de la machine à coudre. Pendant quinze ans, pauvre et sans instruction, il travaille à s’instruire et à poursuivre son invention. Quand il la tient, dix ans encore il lutte contre l’indifférence publique. Enfin le voilà riche : il a 5 millions à peu près