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la guerre civile éclate; quoiqu’il ait des enfans, il sacrifie une partie de cette fortune si laborieusement acquise à la cause de la liberté. Il lève et équipe un régiment à ses frais, il s’y engage comme simple soldat; mais, trop vieux pour marcher, il remplit les fonctions de commis dans l’intendance. Voilà le citoyen tel que l’ont formé les traditions puritaines et les institutions démocratiques. Chez lui, l’amour de la patrie, ce sentiment antique, se combine avec la charité et l’humilité du christianisme. Tant que cet esprit ae se sera pas éteint, les États-Unis ne cesseront pas de grandir.

L’impression que ce voyage de circumnavigation laisse dans l’esprit, c’est que l’axe de l’humanité se déplace. La balance politique tend à pencher vers l’autre hémisphère. Il se forme en Amérique, dans l’Afrique centrale, dans la Nouvelle-Zélande, en Australie, des états doués d’une santé, d’une jeunesse, d’une force incomparables, et, chose digne de remarque, ils appartiendront tous à la même race; ils auront mêmes lois, mêmes instincts, même langue. On a parlé d’arrêter l’expansion de la race anglo-saxonne ; c’est à peu près comme si on prétendait arrêter le mouvement de la terre dans son orbite. Il s’agit en effet d’un résultat de causes économiques générales et irrésistibles, l’immensité de territoires fertiles et les aptitudes de la population qui les occupe. Les lois économiques agissent à peu près comme les lois naturelles; elles échappent à la prise de ceux que l’on a longtemps appelés les maîtres du monde. Qu’ils déclarent la guerre à l’Union américaine, qu’ils parviennent même à battre sa marine militaire et à chasser ses navires de commerce de toutes les mers, c’est à peine s’ils auront retardé ses progrès de quelques années[1]. Les états européens se ruinent par leurs armemens extravagans et par leurs rivalités déplorables ; ils arrêtent l’accroissement normal de la population en enlevant au travail et au mariage les hommes qui y sont le plus propres, et en dévorant improductivement le capital qui ferait vivre les générations nouvelles; ils s’épuisent en luttes insensées pour quelques coins de terre imperceptibles sur la carte

  1. Pour mieux résumer ce progrès, j’emprunte à M. von Scherzer le tableau suivant, sur lequel il est impossible de jeter les yeux sans demeurer confondu.
    PROGRÈS DES ÉTATS-UNIS.

    ¬¬¬

    1793 1851 1961
    Population Ames 3,929,328 23,267,498 31,448,322
    Valeur des importations Dollars 31,000,000 178,138,318 362,166,254
    — des exportations 26,109,000 151,898,720 400,122,296
    Marine Tonnes 520,764 3,535,454 5,539,812
    Chemins de fer Milles anglais « 10,287 31,196
    Coût d’établissement Dollars « 306,607,954 1,166,422,729
    Télégraphes Milles « 15,000 40,000
    Richesse mobilière et immobilière Doll. « 7,135,780,000 16,159,616,000