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que céder. Elle raconta fidèlement ce qui venait de se passer entre elle et Chandos. Cecil l’écoutait, muette pour cette fois et dissimulant derrière son ombrelle les larmes qu’elle sentait monter à ses yeux. Avec son habileté ordinaire, lady M... termina son récit par quelques sages conseils. — Montrez-vous, disait-elle, aussi raisonnable que lui, et, si par grand hasard vous avez ressenti pour ce jeune homme quelque inclination romanesque, sachez comprendre combien il vaut mieux pour vous...

Ici elle fut interrompue par Cecil, dont les yeux humides lancèrent tout à coup des flammes. — Voilà de quels conseils inspirés par l’égoïsme vous payez tant de générosité, tant de chevaleresque délicatesse!...

— Bon Dieu ! se demandait le chaperon courbant la tête sous la bourrasque, comment tournera cette aventure? Heureusement que le péril va se trouver conjuré par une séparation immédiate.

Le lendemain, tandis qu’elle se berçait sous ses courtines soyeuses de cette pensée consolante, miss Ormsby, beaucoup plus matinale, longeait au pas la New-Ride, ombragée par les arbres de Kensington-Gardens. Bien souvent il lui était arrivé à pareille heure de rencontrer là M. Chandos Cheveley, accoudé aux barrières et fumant son cigare. Y venait-il guetter son passage? ou le hasard seul amenait-il ces rapides entrevues, plus fréquentes depuis quelques semaines? En tout cas, elles ne pouvaient donner prise à la médisance, car la jeune amazone passait sans s’arrêter jamais, et suivie à dix mètres de distance par un vieux groom, devant l’assidu promeneur qui se contentait de soulever son chapeau sans jamais se permettre une parole.

Ce jour-là, Cecil cheminait moins vite que de coutume, et son regard errait à droite et à gauche, comme s’il cherchait quelqu’un. — Peut-être aura-t-il le bon esprit de venir, se disait tout bas notre héritière. — De fait, à la place habituelle, Chandos, le coude sur la barrière, respirait innocemment l’air du matin. Chez lui, ses malles étaient faites, son départ annoncé. Il attendait l’heure du train, et avant de partir il avait voulu revoir une fois encore un endroit du parc que certains souvenirs lui rendaient particulièrement cher.

Quand Cecil s’approcha, quand il l’eut reconnue, sans presque l’avoir regardée, aux battemens précipités de son cœur, il s’apprêta, comme de coutume, à la saluer au passage; mais pour la première fois le bel alezan qu’elle dirigeait s’arrêta devant le promeneur immobile. — Est-il donc vrai, monsieur Cheveley, que vous songez à quitter Londres?

Cette question lui fut adressée après une certaine hésitation, avec un regard qui la commentait éloquemment.