Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couverts de fleurs, de petits troncs d’arbres dans lesquels l’on fait pousser trois ou quatre essences différentes. Inutilités bien innocentes que ces miniatures ! Chaque Japonais y tient ; il se crée une cour de quelques pas dans laquelle il échelonne sa forêt et son jardin fruitier. Tout l’hiver, il aura de la verdure sous les yeux ; au printemps, à la fête des cerisiers, ses enfans auront de jolies branches chargées de fleurs. Ces petites maisons à thé sont d’une propreté proverbiale, mais n’ont ni ameublement ni ornementation. À terre, les nattes sont épaisses et d’un joli dessin ; sur les murs, le papier est d’une élégante fraîcheur. Autour des maisons, les propriétaires se sont plu à dresser des tonnelles qui affectent la forme de navires ou d’animaux ; l’été, les liserons et les glycines en fleur se croisent au milieu de ces berceaux de verdure, et leur donnent des aspects charmans. De tous côtés, de petits lacs coupés par des ponts en bambou cannelé renferment des quantités de carpes dorées d’une gloutonnerie extrême.

Ce qui fait d’Asaxa un rendez-vous aussi tumultueux de flâneurs et principalement de femmes et d’enfans, c’est la quantité de bateleurs dont les baraques s’élèvent autour du temple. Un Curtius indigène exhibe les cinq actes en cire d’une fable dramatique quelconque ; il semble que ce soit notre fabrique et notre estampille. Les deux peuples ont certainement travaillé chez le même maître et sont également doués, mais le boniment du Barnum japonais est d’une crudité d’expressions que l’on ne tolérerait pas chez nous. Peut-être la présence d’étrangers fournit-elle au directeur du musée une occasion excellente de faire rire à nos dépens ses compatriotes par sa grossière éloquence ; cependant le calme du public indigène donne à croire que ce langage lui est familier. Pendant tout l’été de 1865, à côté du cabinet de Curtius, on pouvait voir une grande baraque dont le fronton supportait orgueilleusement une copie fort exacte du congrès de Paris, c’était un diorama où se voyaient quelques scènes de la Bible ou de l’histoire sainte, des fables mythologiques, les amours de Jupiter avec Danaé ou Léda, enfin la diplomatie européenne réunie autour de la table du 30 mars 1856. Les Japonais se pressaient contre les lentilles de verre ; mais à part ce dernier tableau, qui leur représentait des Européens très bien habillés, probablement de hauts personnages, peut-être des souverains, tout l’attrait du spectacle consistait pour eux en une série de nudités, et peu leur importait de connaître l’idée mythologique ou religieuse qui pouvait s’y rattacher. Je retrouvais là quelquefois un Japonais qui jetait en l’air un papillon en papier, le soutenait gracieusement par de petits mouvemens d’éventail, le faisait voltiger en tous sens, se poser sur son bras, sur ses épaules, aller,