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venir avec un naturel parfait. Bientôt il lui donnait un compagnon, et c’était plaisir de voir les deux insectes se battre et se poursuivre sans qu’il parût à peine y prendre garde.

D’Asaxa, la rivière remonte, toujours couverte de bateaux, entre deux quais dépourvus d’animation ; elle jette à droite et à gauche de petits bras qui s’allongent en serpentant jusqu’au milieu de la ville et donnent naissance à un commerce de transport presque aussi développé que celui des villes chinoises. Abandonnons-la complètement et laissons à gauche le quartier marchand si bigarré, si populeux, pour entrer dans une autre ville, dans un pays différent, mais tout aussi japonais. Nous passons entre des murs cyclopéens, sous des voûtes qui se défilent et que protègent deux pièces de campagne ; nous voici dans la ville officielle, au milieu d’un calme et d’un silence complets. Les portes ouvertes d’un grand corps de garde en bois laissent apercevoir, accroupis sur leurs nattes, les défenseurs du poste, qui regardent d’un œil impassible défiler notre cortège. Au dehors, de grandes panoplies de lances et de hallebardes se mêlent aux fusils des soldats. Le tout est minutieusement propre, les fers de lances sont couverts d’étuis en carton ou en peau. Devant nous s’ouvrent des rues larges, d’une netteté incroyable, quelque chose comme les allées sablées d’un jardin, mais sans architecture, sans monumens, avec la sobriété ordinaire d’ornementation. C’est sans doute par égard pour les hôtes qu’elles renferment que l’on a décoré du nom de palais les demeures de la noblesse japonaise. Un long mur à deux étages percé régulièrement de fenêtres grillées en bois et posé sur un soubassement en pierres cyclopéennes que baigne un petit ruisseau d’eau courante, tel est le spectacle qui se déroule des deux côtés de la rue et pendant plusieurs milles. Aux fenêtres, les curieux sont nombreux, rieurs et bruyans, tous gens de la dernière qualité, coulies ou domestiques. Les portes sont scrupuleusement fermées ; elles montrent d’immenses surfaces de bois toutes bardées et chevillées de fer, la devanture d’un coffre-fort de grande dimension. Parfois les arbres s’élancent au-dessus des murs ; des bouts de charmille élégamment coupés et arrondis indiquent qu’il y a là d’autres habitans que ces vilaines figures entrevues de l’extérieur, et font soupçonner la demeure d’un maître dans quelque parc dissimulé aux regards. Ce n’est qu’un soupçon, qu’un pressentiment, on ne voit rien ; au bout de huit ans de séjour, nous en sommes encore à chercher quelle peut être la vie, quelles doivent être les occupations de ces grands seigneurs japonais, quelle est leur existence domestique, quelles sont leurs distractions, quels rapports de conversation et d’intimité ils entretiennent les uns avec les autres. Tout est muré pour nous de ce côté. De temps à autre, des