Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traditions anglaises plus d’un genre d’obstacles. Nos voisins n’ont généralement pas une très grande confiance dans un ordre de connaissances officielles et contrôlées ; ils abandonnent plus volontiers à l’initiative personnelle la recherche des moyens d’instruction. C’est à chacun de répondre pour lui-même et de s’ouvrir une carrière. Quelques jeunes gens abusent sans doute de cette absence de frein : ils passent leur temps à lire des romans ou à courir les tavernes au lieu de se livrer à l’étude du droit ; mais ne porteront-ils point tôt ou tard la peine de leur légèreté ? Ce n’est point à coup sûr parmi eux que le barreau anglais ira recruter ses illustrations. Et puis nos voisins comptent avant tout sur la pratique pour faire des hommes de loi. La plupart des étudians qui veulent se faire un nom s’attachent pendant trois années à quelque avocat célèbre et travaillent dans son cabinet (chambers)[1]. Entre le maître et l’élève s’établit alors une sorte de patronage à la manière antique. Sous un tel guide, le jeune initié lit les volumineux ouvrages de jurisprudence, assiste aux débats des tribunaux et profite des hautes leçons de l’expérience, tout en consultant ses propres forces et son impulsion naturelle. Il en est du barreau en Angleterre comme de beaucoup d’autres professions libérales : la moyenne des études s’y montre peut-être inférieure à ce qu’elle est dans d’autres états de l’Europe ; mais d’un fonds médiocre surgissent des hommes éminens qui ne craignent dans le monde aucune rivalité. L’étude du droit pourrait subir chez nos voisins quelques modifications utiles, qui le nie ? Encore ne faudrait-il point juger légèrement d’un système qui a produit les Erskine, les Campbell, les Brougham et les Cockburn. À cette forte école de la liberté, en dehors de toute influence de l’état, se sont développés dans l’histoire et se forment encore tous les jours ces caractères énergiquement trempés qui résistent au nom de la loi sur leur chaise curule à tous les empiétemens de l’arbitraire.

Les étudians en droit sortent aujourd’hui, chez nos voisins, de toutes les classes de la société. Les hommes qu’on appelle country gentlemen et qui forment une sorte d’aristocratie dans les campagnes, quoique appartenant d’ailleurs à la haute bourgeoisie, envoient très volontiers leurs fils durant quelques années dans un inn of court, afin qu’ils soient ensuite plus à même de remplir dans leur comté les fonctions de juge de paix, ou, l’occasion aidant, d’arriver à la chambre des communes. Les cadets de la noblesse n’ont guère à choisir qu’entre l’église, l’armée ou le barreau, et

  1. C’est une grande dépense ; aussi faut-il à un jeune homme quelque fortune pour réussir dans le barreau anglais. Il paie généralement à l’avocat qui l’instruit 100 guinées par an (2,680 francs) durant tout le temps de son stage.