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graves, elle offre même une forte somme d’argent à celui qui dénoncera l’auteur du crime ou qui pourra mettre sur la trace du fugitif. La délation n’est pourtant pas dans le caractère anglais, et le sentiment public, peu d’accord avec cet usage équivoque, flétrit l’homme qui reçoit en pareil cas le prix du sang. Dans d’autres circonstances où cette mesure reste inefficace, elle trahit l’impuissance de l’autorité : c’est ainsi que la tête de Stephens, quoique mise à prix pour une somme très considérable, fut respectée par les Irlandais, et put ainsi défier toutes les recherches de la police. Quoi qu’il en soit, les Anglais feront bien, je crois, de s’en tenir à leur système de poursuites judiciaires. Les moyens employés pour la découverte des crimes et des coupables peuvent s’améliorer dans le cas où ils seraient imparfaits ou en désaccord avec les mœurs publiques ; mais qui rendrait de sitôt à un grand peuple ses libertés perdues ou tout au moins compromises ?

Il est un autre magistrat dont la juridiction tout à part vient le plus souvent au secours de la société anglaise, troublée par le meurtre d’un ou de plusieurs individus. Je veux parler du coroner. Qu’est-ce pourtant que cet officier ? La charge de coroner remonte, dans les annales de la Grande-Bretagne, jusqu’à une assez haute antiquité. Élu par les freeholders (francs tenanciers) du comté ou du district où il tient sa cour, il a surtout pour fonction d’ouvrir une enquête dans tous les cas de mort soudaine ou violente. Je ne sais plus quel poète anglais l’a surnommé le vautour de la justice. Il est en effet l’homme du cadavre ; pour qu’il agisse et que son ministère soit reconnu, il faut que le corps de la victime ait été retrouvé. S’il en est autrement, il ne peut intervenir, et ce sont alors les juges de paix qui instruisent le procès. D’après les anciens usages, l’enquête du coroner devrait avoir lieu en présence du mort ; il s’en faut pourtant de beaucoup que cette règle soit aujourd’hui observée en Angleterre. Accompagné d’au moins douze jurés, il examine d’abord soigneusement le cadavre, puis se rend avec eux dans un hôtel ou une auberge du voisinage pour y entendre les témoins et pour trouver (finding) les causes qui ont brusquement interrompu le cours de la vie humaine. Tous les cas de mort suspecte tombent sous son autorité, même ceux où le médecin s’est trompé par ignorance dans le traitement de la maladie[1]. Si le coroner et le jury ont tout lieu de reconnaître que le décès doit être attribué à des causes naturelles ou, selon l’expression anglaise, à la visitation

  1. Autrefois ces magistrats électifs, les coroners, étaient payés tant par enquête ; mais, en vertu d’un bill du parlement, ils reçoivent aujourd’hui un traitement annuel calculé sur la moyenne des honoraires qu’ils recevaient durant les cinq années qui ont précédé 1859.