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émanés du propre mouvement du roi n’étaient point applicables à la Bretagne, régie par un droit public particulier ; en conséquence, elle rendit arrêt pour défendre sous peine de concussion la levée des deux sous pour livre[1]. Cet arrêt fut immédiatement déféré par le contrôleur-général des finances au conseil du roi, où il ne pouvait manquer d’être cassé ; l’ordre d’enregistrer l’évocation et l’arrêt de cassation furent en effet adressés simultanément par le cabinet au greffe du parlement et à celui des états. Sur le vu de cet ordre ministériel, le parlement, qui venait de recommencer ses travaux, suspendit ses séances. Le roi lui adressa des lettres patentes pour qu’il eût à les reprendre, avec injonction de garder désormais le silence sur cette affaire ; mais le parlement lui renvoya ses lettres par la poste, et le cours de la justice demeura interrompu[2].

Chaque incident de la lutte engagée à Rennes avait à Nantes son contre-coup. L’opposition y était toujours dirigée par M. de Kerguézec, quoique assez souvent dévoyée par les imprudences de MAI. de Coëtanscour, de La Bédoyère et de Piré. Son plan était évident : il consistait à obliger le gouvernement à retirer l’arrêt du conseil moyennant l’espoir d’obtenir pour prix de cette concession les votes financiers indispensables dans l’état de détresse où le trésor demeurait plongé malgré la conclusion de la paix ; mais en ruinant le roi les états se ruinaient eux-mêmes, car les revenus propres de la province n’étaient pas durant cette crise moins menacés que ceux de la couronne. Les refus d’impôt se produisaient déjà sur quelques points ; partout la fraude sur les boissons et sur le tabac s’exerçait audacieusement, l’impunité paraissant assurée par la suspension des fonctions du parlement, qui seul exerçait en Bretagne les fonctions attribuées ailleurs aux cours des aides. On touchait au moment de la mise en adjudication des devoirs, principale ressource financière de la province, et pas une compagnie ne se formait encore pour en soumissionner la ferme. Les traitans de Paris, qui la possédaient de temps immémorial, se refusaient à placer leurs capitaux sur un sol aussi ébranlé. Rien n’avait été préparé pour la mise en régie, et le trésorier des états prévoyait la banqueroute, lorsqu’une patriotique inspiration vint changer la face des choses. Les négocians nantais formèrent un syndicat pour prendre le bail à des conditions supportables, quoique onéreuses, et cet exemple de courageux bon sens, en rendant confiance à tout le monde, rappela les têtes ardentes à des idées plus modérées. On venait de jeter un regard sur l’abîme ;

  1. Arrêt du 16 octobre 1764.
  2. Premier mémoire de Linguet, 1770, p. 68.