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et l’intégrité de l’empire. Les promesses dont il se compose, encore à réaliser pour la plupart, étaient une satisfaction verbale offerte à des protecteurs exigeans, dont l’intervention importune faisait dire non-seulement à Stamboul, mais à Péra même, que l’enfer russe valait mieux que le paradis français. Malgré de réelles améliorations de détail, le hatti-humayoun a laissé la situation générale telle qu’elle était, et amené entre Aali-Pacha et son maître Reschid une dissidence dont celui-ci n’est jamais revenu jusqu’à sa mort, qui arriva en 1858. Au risque de démentir sa politique passée, Reschid n’a cessé de condamner le hatti-humayoun, soit que l’auteur du hatti-chérif de Gui-Hané cédât à un sentiment de jalousie involontaire, soit plutôt que l’expérience lui eût appris le danger des promesses faites uniquement pour faciliter la besogne de la diplomatie et celui d’ouvrir la porte à une immixtion taquine par des engagemens pris à la légère.

Pendant les trente ans, ou peut s’en faut, écoulés depuis l’admission de la Turquie dans le concert européen, on distingue deux époques, et la seconde, ouverte par le hatti-humayoun, n’a certes pas été la moins difficile pour la Porte. Jusqu’à cette date, la Turquie, conduite pour ainsi dire aux lisières par l’Europe, travaille sous sa tutelle à se réformer, s’exerce lentement à la civilisation, favorisée et embarrassée tout à la fois par la guerre des influences rivales qui veulent la diriger. Déclarée majeure et responsable de ses actions au sortir de la crise de 1856, elle est depuis lors sommée chaque matin, sous peine de mort, de satisfaire aux conditions de la civilisation, dussent ces conditions être incompatibles avec son existence. La première période, toute politique, n’intéressait guère que les cabinets ; la seconde, financière autant que politique, intéresse tout le monde des affaires, fixe sur la Turquie l’attention générale, chaque jour plus inquiète et plus impatiente. Les réformes exigées d’elle autrefois étaient surtout politiques et religieuses, elles sont de plus aujourd’hui civiles, administratives, économiques. Aussi sa lenteur à obéir l’expose-t-elle à d’incessantes objurgations, et ouvre-t-elle, dans le pays classique de l’intrigue, un champ inépuisable à tous les candidats de la faveur. Un matin, le 17 septembre 1859, l’Europe s’étonna d’apprendre qu’un complot venait d’être découvert à Constantinople, et ne cacha point ses sympathies pour les conjurés, lorsque les ministres, qu’ils voulaient mettre en jugement, eurent le tort de les traduire devant une commission dont ils faisaient eux-mêmes partie. Les chefs du complot proclamaient la nécessité de réformer le gouvernement et de sauver l’état de la ruine en mettant un terme aux dilapidations qui le perdaient. Deux mois après, comme s’il se fût fait l’écho de ces plaintes