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et eût emprunté le programme des conjurés, le sultan faisait lire au divan une de ces mercuriales où les vizirs eux-mêmes sont peu ménagés et qui leur présagent d’ordinaire une chute prochaine. « Il est constaté, disait le sultan, que les coups portés au crédit de la Turquie ont jeté le pays dans la crise qu’il traverse maintenant. Des besoins pressans et journaliers ont nécessité des emprunts contractés avec des négocians de Galata à des conditions lourdes et ruineuses, ainsi que différentes émissions de papier-monnaie, et ces mesures ont anéanti toute confiance tant à l’intérieur qu’ à l’extérieur. Le désordre dans les dépenses est venu augmenter le mal et amener les choses dans la mauvaise situation où elles se trouvent… » Après cette déclaration, Aali n’avait qu’à s’exécuter ; il n’hésita point à signaler au conseil l’urgente nécessité d’apporter un contrôle efficace dans les dépenses de l’état et surtout dans celles de la liste civile, dont le désordre était une cause d’embarras toujours renaissans. Quelques jours après, il n’était plus grand-vizir. C’est en Turquie, même avec la toute-puissance dont dispose un grand-vizir, un métier difficile et ingrat que celui de réformateur.

Cette fois Aali tomba seul. Fuad, resté ministre, allait avoir bientôt l’occasion de rendre à la Turquie, dans une des conjonctures les plus critiques qu’elle ait traversées, un de ces services où il est sans rival. L’émotion douloureuse qui gagna l’Europe en un instant à la. nouvelle des massacres de Syrie en 1860 est présente encore à tous les esprits. Six mille chrétiens, et parmi eux les représentans de quelques puissances européennes, égorgés presque sans défense, les autorités turques restées impassibles spectatrices de ces tueries, ces récits causèrent une indignation mêlée de stupeur. Là, comme toujours, une minorité fanatique avait tout fait, et cette poignée de scélérats eût été facilement réprimée, si la lâcheté des chrétiens de Syrie, constatée par tous les observateurs, n’était égale à leur rapacité. La Turquie fut aussitôt taxée d’impuissance ou de mauvais vouloir ; à peine l’intervention était-elle décidée sur l’initiative de la France, que Fuad arrivait en Syrie avec trois mille hommes. Jamais tâche plus épineuse n’avait été confiée à son habileté, faite de ménagemens et de vigueur, de temporisation et d’énergie. Il fallait avant tout rétablir l’ordre à bref délai pour sauver l’autorité de la Turquie, si directement menacée par l’intervention européenne ; mais il fallait aussi, en satisfaisant l’opinion par quelques coups d’éclat de nature à calmer les esprits émus, ménager les forces du parti musulman en Syrie ; Fuad avait enfin à garder intacte sa popularité personnelle au sein de l’islamisme. Il parvint à concilier tous ces intérêts. Dès son arrivée, un nombre imposant de coupables étaient pendus ou fusillés, les