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interpella alors directement, pour avoir son avis, le supérieur-général du grand séminaire de Bordeaux. Au lieu d’abonder dans le sens du théologien couronné, celui-ci vint en aide à son collègue et se mit à expliquer assez longuement que les cas de dissolution dont l’empereur voulait parler n’étaient communément que des cas antérieurs de nullité. Étonné de la contradiction inattendue que lui opposaient successivement des ecclésiastiques plus versés à coup sûr dans la science du droit canon que dans les affaires de ce monde, et qui probablement ignoraient sur quel terrain brûlant ils avaient été appelés, Napoléon congédia brusquement Mgr d’Aviau et ses grands-vicaires. Il était rouge de colère, raconte l’abbé Lyonnet, à qui nous empruntons ces détails, et pendant quelque temps on le vit, à l’issue de ce colloque, se promener en long et en large dans son appartement sans faire aucune attention aux personnes qu’on lui annonçait. Quelques brèves paroles échappées par intervalles de sa bouche témoignaient de son vif mécontentement. « De quels hommes s’entoure donc cet archevêque de Bordeaux ? Il n’y a pas un seul théologien parmi eux ; mais du moins les ai-je bien mis au sac[1]. » Il eût été heureux pour les ecclésiastiques que nous venons de nommer que, satisfait de les avoir, à son sens, si péremptoirement réfutés, leur impérial contradicteur n’eût pas encore voulu en avoir raison d’une tout autre façon. Peu de jours après son retour dans sa capitale, Napoléon donnait ordre à M. Bigot de Préameneu de faire savoir à Mgr d’Aviau qu’il ne reconnaissait plus M. Thierry pour grand-vicaire, M. Delort pour secrétaire-général, ni M. Lacroix pour supérieur du grand séminaire de Bordeaux. C’était dire en style officiel qu’il fallait les destituer, et l’archevêque, consterné, dut, avec un regret infini, pour des motifs purement politiques, se séparer à tout jamais des auxiliaires qu’il avait jugés les plus capables de l’aider dans sa mission religieuse.

Lorsque l’empereur ne reculait pas devant des violences aussi singulières, on peut à bon droit supposer que sa résolution de se séparer de Joséphine était déjà tacitement arrêtée. Il est également permis de supposer, sans risquer de se tromper beaucoup, que le désir de s’allier à la famille de quelques-uns des puissans souverains de l’Europe fut encore fortifié par les dernières agressions de l’Autriche, qui étaient venues le surprendre si incommodément pendant que ses meilleures troupes étaient engagées au fond de l’Espagne. Déjà en 1806, avant Austerlitz, et plus tard, pendant la campagne d’Iéna, il avait été frappé de l’effrayante facilité avec

  1. Histoire de Mgr d’Aviau du Bois de Sansay, archevêque de Vienne et de Bordeaux, par l’abbé Lyonnet, aujourd’hui évêque d’Albi, t. II, p. 561.