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II

C’était le 4 septembre que Moustafa-Pacha débarquait à La Canée. Pendant les quelques jours qu’il employait à prendre des renseignemens sur l’état réel des affaires, le bruit se répandait en ville que les hostilités avaient commencé, que les Turcs de Sélino étaient vivement pressés, et qu’ailleurs un corps égyptien avait été cerné, Ce fut dans de telles conditions que, le 14 du même mois, les Grecs purent enfin lire la proclamation par laquelle Moustafa prenait officiellement la direction des affaires ; Ismaïl, aussitôt après l’arrivée de son successeur, s’était embarqué pour Constantinople. Le commissaire impérial commençait par rappeler aux Crétois « qu’il avait passé dans l’île plus de trente années de sa vie, et qu’il en était venu à la considérer comme sa seconde patrie ; » puis venaient toutes ces belles promesses que prodiguent les pouvoirs aux abois, quand ils espèrent décider ainsi à se disperser et à désarmer ceux qui leur font peur. La conclusion répondait mal aux paroles paternelles du début ; cinq jours seulement étaient donnés aux révoltés pour venir à résipiscence. Ce délai expiré, tous ceux qui n’auraient pas fait leur soumission seraient traités en ennemis et en rebelles. Cinq jours, c’était bien peu. Le délai était trop court pour que toutes les préventions et les colères tombassent, pour que les chefs des insurgés eussent le loisir de négocier leur soumission ; à peine était-ce assez pour que la proclamation eût le temps de parvenir dans les districts éloignés. D’ailleurs, à tout prendre, la chose importait peu ; ce qui se passait n’était point de nature à intimider l’insurrection. A court de vivres, voyant ses soldats affaiblis par les fièvres, le général égyptien, Chaïn-Pacha, que n’avaient pu rejoindre et dégager les troupes envoyées à son secours, avait dû capituler après avoir vainement essayé de forcer le cercle d’insurgés qui l’entourait ; pour se replier d’Apocorona sur Calivès, auprès de La Canée, il avait dû livrer des otages, son artillerie, ses munitions et ses bagages. Les soldats n’avaient conservé que leurs armes.

La perte matérielle avait peu d’importance, elle était bientôt réparée. De nouveaux envois portaient à près de 40,000 bommes le chiffre des troupes turco-égyptiennes ; mais l’effet moral était grave. Les Grecs étaient surexcités par ce premier succès ; les Turcs au contraire perdaient courage, et parlaient de demander au sultan des terres en Asie-Mineure et d’émigrer. Pendant tout le mois de septembre, les Turcs restaient sur la défensive, occupés à faire prendre position autour de La Canée aux troupes qui arrivaient