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on lui laissa ignorer quel crime on lui reprochait. Il fit de la prison son cabinet de travail ; c’est là qu’il écrivit pour son jeune fils le magnifique programme d’histoire, aujourd’hui publié, qu’il lui envoyait par cahiers. Couthon imagina enfin un complot ; c’était le grand moyen quand il n’y avait absolument rien à dire. On accusait Dillon et Simon d’avoir essayé de délivrer Danton et Camille Desmoulins et d’armer les contre-révolutionnaires contre la convention. Thouret fut mis au nombre des conjurés. Il ne voulut point répondre à cette accusation ; mais sa famille s’efforça de la détourner. Son frère, le médecin Thouret, vit Couthon, entreprit de le convaincre : un passage du Moniteur démentait les faits. En l’envoyant à Couthon, il lui disait : « Tu vois, citoyen représentant, qu’il n’existe aucune charge contre mon frère… C’est à la droiture de ton cœur, à ton amour pour la justice que nous remettons à déterminer s’il doit être mis en cause, ou s’il ne mérite pas au moins une exception particulière, le bon citoyen qui n’a cessé de servir de tout son pouvoir et de toutes ses facultés la cause de la liberté et de la chose publique[1]. » Thouret ne fut point compris dans l’affaire de Dillon et de Simon, mais il resta détenu au Luxembourg ; son nom était souligné à l’encre rouge sur les listes de Robespierre. Que lui reprocher cependant ? Le 4 mars 1794, le comité de salut public, croyant avoir mis la main sur un bon chef d’accusation, invitait Fouquier-Tinville à consulter les pièces de l’armoire de fer et à s’attacher à une conversation de Thouret, Chapelier et Desmeunier sur « la constitution monarchique qu’ils avaient fabriquée. » Dans cette pièce, un personnage anonyme rapportait au roi que le 10 juillet 1791 les trois interlocuteurs, membres du comité de constitution, avaient exprimé l’avis qu’il fallait rejeter l’idée du républicanisme, la combattre avec force par cela même qu’il était exclu de la constitution, et conserver le roi seul pour monarque ; « mais, avait dit Thouret, vous ne faites pas une réflexion : si le roi, bien conseillé, travaillait de son côté à une charte constitutive, et si, dans le moment où vous lui présenteriez la vôtre, il la refusait et vous en faisait remettre une plus populaire et plus favorable au pouvoir exécutif en nous sommant de renvoyer le tout aux assemblées primaires, que feriez-vous ? » L’entretien avait roulé sur ce point. Selon Chapelier, il n’y avait rien de semblable à craindre ; un plan donné par le roi « aurait toujours un vernis d’aristocratie et de prêtraille » qui permettrait facilement de le déjouer. « Je le crois bien, avait ajouté Thouret ; néanmoins, si mon rôle était de le

  1. Nous devons la communication de cette pièce à un éminent magistrat de la cour de Paris, M. le président Casenave, qui fut l’ami de Thouret fils, mort en 1832.