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défendre, je vous promets que je saurais vous embarrasser. » De là les trois membres du comité avaient conclu qu’il fallait éloigner du roi tout ce qui pourrait lui suggérer l’idée d’un tel projet, et hâter l’achèvement de la constitution. Dans cette conversation, Thouret et ses interlocuteurs s’étaient bien prononcés contre la forme républicaine, mais en même temps ils s’étaient montrés unis contre la monarchie absolue et l’ancien régime. Le document ne fournissait donc aucun motif à l’accusateur public.

Thouret avait-il jamais pactisé avec la cour ? Une autre pièce de l’armoire de fer contenait à cet égard une curieuse révélation. Lorsque Mirabeau proposa d’agir par différens moyens sur l’assemblée, sur Paris et sur les provinces, il avait désigné les députés influens qu’il était nécessaire d’entraîner pour l’exécution de ce projet : c’était de Bonnay, l’abbé de Montesquiou et Cazalès pour le côté droit, Clermont-Tonnerre, Dandré, Duquesnoy, l’évêque d’Autun, Emmery, Chapelier, Thouret, Barnave et lui ; mais il recommandait bien de leur cacher le fond de la tactique. « Il ne faut ni leur accorder une égale confiance, ni faire connaître à chacun d’eux ceux qui devront le seconder, ni leur faire part du projet que l’on veut exécuter. Il ne faut pas que Chapelier et Thouret sachent que Barnave et moi soyons leurs auxiliaires. » Tel était l’objet de la quarante-septième note secrètement adressée par Mirabeau à la cour. Avec cela, comment prétendre que Thouret avait eu le projet de ce dissoudre la représentation nationale, de rétablir le despotisme et tout autre pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple ? » Telle fut en effet la formule de l’accusation dirigée contre lui, et l’on conçoit que les pièces de l’armoire de fer eussent été écartées de l’instruction. Toutefois l’accusation restait un peu vague. Ne devait-on pas plus de précision dans les motifs à un avocat célèbre, à un président du tribunal de cassation ? Fouquier-Tinville le sentit sans doute, car en relisant l’acte d’accusation il y ajouta de sa main ce nouveau chef par un renvoi en marge : « et encore Thouret, pour avoir, de complicité avec Dillon et Simon, formé le plan de forcer les prisons, de tomber et faire assassiner les membres du comité de salut public et de la convention. » À cette date, Dillon et Simon avaient déjà payé de leur tête le prétendu complot auquel Thouret était enfin rattaché à la dernière heure par l’accusateur public. Extrait du Luxembourg le 21 avril 1794 et transféré à la Conciergerie, Thouret y reçut la copie de l’acte d’accusation daté du jour même. Le lendemain, dans la chambre où quelques mois auparavant il présidait encore les audiences de la cour suprême, il comparaissait devant le tribunal révolutionnaire en même temps que le vieux Malesherbes, Chapelier, d’Éprémesnil et neuf autres