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vous dévoilons, nous, présens ici, et avec nous bien d’autres qui les connaissent également, et il l’avait convaincu d’erreur ; mais comme cet homme promettait de changer d’opinion, Firmilien le crut, et, dans l’espoir que l’affaire pourrait s’arranger pacifiquement, il ajourna la décision à prendre. Cet homme le trompait ; il reniait son Dieu et ne tenait pas la parole donnée. Firmilien, comprenant enfin la perversité de cet athée, allait donc revenir à Antioche, et il venait d’atteindre la ville de Tarse ; mais au moment où, déjà réunis, nous n’attendions plus que sa présence, il est mort…

« Cet homme, s’étant écarté du canon de la foi et ayant embrassé des doctrines adultères et perverses, il est inutile de juger sa conduite, car il n’est plus des nôtres. Nous ne raconterons pas que, venu pauvre et dénué, sans aucune fortune patrimoniale, ne possédant ni art ni métier, il est arrivé à l’opulence moyennant le crime et le sacrilège, tendant la main aux frères ou bien leur extorquant des sommes considérables, abusant de la confiance de ceux à qui l’on avait fait tort en leur promettant de les aider s’ils payaient bien ses peines, leur mentant et spéculant sur la disposition des gens engagés dans les procès à donner beaucoup pour être délivrés de leurs embarras, faisant ainsi de la religion un trafic lucratif. Inutile aussi de décrire l’orgueil dont il est gonflé, l’arrogance avec laquelle il porte les dignités mondaines, comment il aime mieux son titre de ducenarius que son titre d’évêque, comment il se pavane sur les places publiques, lisant et dictant des lettres, comment il s’avance précédé et suivi de gardes nombreux, sans s’inquiéter de savoir si, par tant de faste et de morgue, il ne tue pas la foi et ne la rend pas odieuse. Inutile encore d’énumérer ses jongleries dans les assemblées ecclésiastiques, jongleries auxquelles son amour de la vaine gloire et de l’effet prestigieux le font recourir, afin d’en imposer aux âmes simples ; inutile de dire comment il s’est fait dresser une estrade et un trône élevé qui ne conviennent guère à un disciple du Christ, comment il s’est réservé un cabinet particulier σὴϰρητον (sêkrêton) à l’imitation des princes de ce monde et sous la même dénomination, comment il se frappe la cuisse de la main et bat du pied l’estrade, comment enfin, si on ne le loue pas, si l’on n’agite pas les mouchoirs comme au théâtre, si l’on ne s’écrie pas et si l’on ne se trémousse pas d’aise comme les écervelés et les femmelettes réunis autour de lui, si on ne l’écoute pas avec ces transports indécens, mais qu’on l’écoute gravement et posément, comme il convient dans la maison de Dieu, il faut s’attendre à des réprimandes et à des insultes. Ne disons pas non plus comment il déchire en public les anciens interprètes de la parole, tout en parlant haut de lui-même à la manière d’un sophiste et d’un poète et non d’un évêque. N’a-t-il pas supprimé les hymnes adressées à notre Seigneur Jésus-Christ, sous prétexte qu’elles sont de composition récente, et que leurs auteurs sont des