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hommes nouveaux ! Et cela pour qu’en pleine église, au jour solennel de Pâques, un chœur de femmes organisé par lui chante des hymnes composées en son honneur à lui-même, chose aussi horrible à entendre que ce qu’il fait dire dans les discours adressés au peuple par ses partisans, par les évêques et presbytres des villes et des campagnes voisines ! Donc, d’une part, il ne veut pas reconnaître que le Fils de Dieu nous est venu du ciel (nous abordons ici un sujet sur lequel nous reviendrons, et ce n’est pas seulement nous qui l’affirmons, cela ressort d’une foule d’endroits de ses mémoires, là surtout où il dit que Jésus-Christ vient d’en bas, κάτωθεν), et de l’autre ses partisans lui chantent des cantiques, font son éloge devant le peuple, disent que leur maître impie est un ange descendu du ciel ; lui, bien loin d’empêcher ces impiétés, les autorise par sa présence orgueilleuse ! Pourquoi décririons-nous comment il est complice de ses subintroductæ[1] (c’est le nom qu’on leur donne à Antioche) et de celles de ses presbytres et de ses diacres en dissimulant ces impiétés chantées par elles et leurs autres péchés incurables ?… De plus, il les a enrichies, et voilà pourquoi il est aimé et admiré par ceux qui s’attachent à la richesse. Nous savons pourtant, bien-aimés, que l’évêque et le clergé doivent être des modèles de toute bonne œuvre, et nous n’ignorons pas combien sont tombés ou encourent des soupçons graves en suite de cette introduction de femmes. Par conséquent, lors même qu’on ne commettrait par là rien d’illicite, encore faudrait-il éviter les soupçons que cette méthode fait naître pour ne scandaliser personne et pouvoir exhorter les autres à suivre son exemple. Comment cet homme pourrait-il reprendre ou corriger un autre homme de ce qu’il fréquente trop intimement les femmes, de peur qu’il ne tombe, comme il est écrit, lui qui, ayant renvoyé une de ces sœurs, en a toujours deux avec lui, brillantes de jeunesse et de beauté, qu’il mène partout où il se rend et qu’il fait participer aux délicatesses et aux plaisirs dont il se gorge ? À la vue de tous ces scandales, tous se lamentent et soupirent en secret ; mais ils ont peur de sa tyrannie et de son despotisme au point de n’oser

  1. Συνείσακται, c’est-à-dire ces femmes qu’on appelait plus souvent les sœurs, et qui, d’après une coutume remontant très haut, car il en est déjà question dans le Pasteur d’Hermas, écrit à Rome dans la première moitié du IIe siècle, vivaient sous la direction d’un titulaire ecclésiastique et se vouaient sous ses ordres aux œuvres de bienfaisance et aux pratiques pieuses. Cette coutume, née d’une intention excellente et dont, sous des formes moins compromettantes, l’analogue se retrouve dans toutes les communions chrétiennes, entraînait facilement de graves abus. Au IIIe siècle, elle était très répandue, et elle se maintint fort longtemps malgré les restrictions et même les prohibitions des conciles. De là sortit à la fin ce concubinat avoué des clercs, qui passa presque au moyen âge pour une institution. Le concile de Trente (Sess. XXV, cap. 14, De reform.) dut le condamner par un décret formel. Cependant aujourd’hui encore là où la discipline ecclésiastique est relâchée, au Mexique par exemple, il est des usages cléricaux fort peu édifians, et dont l’origine remonte à l’ancienne institution des subintroductæ.