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démission quand il aura de la famille ? À tout événement, ma résolution est arrêtée ; ce jeune homme sera mon gendre, fût-il de la naissance la plus modeste et de la dernière pauvreté. Nous sommes riches pour lui et pour nous, et je n’ai jamais souhaité que ma fille devint marquise ; c’est déjà une jolie noblesse que d’être la femme d’un officier. Reste à savoir si ce bel inconnu n’est pas coureur, ou joueur, ou buveur d’absinthe. Si le malheur voulait qu’il eût un seul de ces trois vices !… Non, je m’en tiens aux deux derniers ; c’est à la femme de fixer le cœur de son mari. S’il jouait, dis-je, ou s’il avait la malheureuse habitude de boire, je romprais tout, au risque de désespérer Antoinette : j’aime mieux la tuer d’un coup que de la voir mourir à petit feu.

Sur cette péroraison, qui n’avait pas coulé sans quelques larmes, Mlle Blanche Vautrin plaqua de formidables accords.

La femme du colonel était un esprit paresseux doublé d’un cœur tendre. L’effort qu’elle avait fait pour suivre le récit de Mme Humblot et la sympathie qui s’était éveillée en elle remuaient violemment cette honnête masse de chair et la faisaient suer à grosses gouttes. Elle sel recueillit un moment, épongea son visage et le dos de ses mains, et s’écria :

« S’il était marié ?

— S’il est marié, ma fille est sauvée. Il y a un proverbe qui dit : « L’impossible arrange tout. »

— Et si c’était un de ces fils de famille qui… que… dont les prétentions sont énormes ? Nous en avons quelques-uns, de ceux-là.

— Comme argent, je ne peux donner que ce que j’ai, c’est certain ; mais trouve-t-on beaucoup de dots comme la nôtre ? Quant au nom, nous portons un nom d’honnêtes gens. Il n’y a jamais eu ni traîtres, ni pillards, ni conspirateurs, ni concussionnaires, ni favorites da la famille Humblot : connaissez-vous dix maisons de première noblesse qui puissent en dire autant ? Et qu’importe le nom de la fille, puisqu’il s’éclipse à tout jamais devant le nom du mari ?

— C’est parfaitement raisonné, madame ; il ne nous reste plus qu’à trouver le jeune homme en question. Puisque vous êtes sûr de le reconnaître au premier coup d’œil…

— Oui ! cent fois oui !

— La recherche ne sera ni longue ni difficile. La garnison de Nancy se compose de notre régiment, de deux escadrons de cavalerie, de quelques officiers de cavalerie et du génie, et du grand quartier général. Comme je vous l’ai dit, je connais peu les officiers de M. Vautrin ; mais ma fille les a tous réunis dans un album de photographie. Nous allons commencer notre enquête par là. Si votre gendre n’est pas chez nous, nous ferons une croix sur le régiment et nous verrons ailleurs. Il est fâcheux que ce monsieur