Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, anatomiquement l’humanité, qui se trouvent en présence, la race blanche, la race noire, la race jaune et la race rouge, dans des proportions inégales sans doute, mais qui sont telles cependant qu’elles donnent sérieusement à réfléchir. Un fait fort curieux ressort en effet des observations de M. Dixon, c’est que les deux races, noire et jaune, compensent jusqu’à un certain point leur infériorité de nombre par la force qu’elles tirent de leur localisation dans une région particulière, force qui, s’accroissant en progression normale, doit finir un jour ou l’autre, si aucun obstacle ne vient à la traverse, par les rendre maîtresses de ces régions. L’homme blanc n’a pas de région préférée, il est partout chez lui, de la frontière la plus septentrionale du Maine au dernier district de la Californie. Il n’en est pas ainsi de la race noire et de la race jaune. Il y a quatre millions de nègres aux États-Unis qui presque tous habitent ces régions du sud où leur esclavage vient de se briser, et qui semblent éprouver une répugnance insurmontable à en habiter d’autres. Le nègre est un être moins libre que les hommes des autres races des conditions du climat. Pareil à ces plantes qui ne croissent fertiles qu’arrosées de ses sueurs et qui se montrent ingrates envers le travail de l’homme blanc, il lui faut les pays du sud, avec lesquels il s’harmonise si heureusement, et dont il est un élément pittoresque presque nécessaire. Pas plus que le riz, le coton et le tabac, le nègre n’aime les régions du nord, où il a cependant toujours eu ses plus chauds avocats, et d’où est parti le signal de son émancipation. « Même aujourd’hui, où le Massachusetts et le Connecticut l’amorcent par l’offre de bons gages, d’un travail aisé et d’un peuple sympathique, il refuse d’aller s’y établir. Il endure tout juste New-York ; les plus intrépides de sa race consentent à peine à rester à Saratoga et à Niagara après les mois de l’été. Depuis que Sam a pu vivre libre dans le sud, il a tourné le dos au froid et amical nord pour aller chercher un lieu de séjour où il y eût plus de soleil. » Le nègre est un fait tout local aux États-Unis, dit M. Dixon ; mais ce caractère ne le rend que plus considérable. N’est-il pas inévitable en effet que ces quatre millions de nègres aujourd’hui affranchis deviennent, par l’effet même de la liberté, les maîtres du pays qu’ils chérissent ? Quatre millions de nègres libres s’employant à une culture qui réclame de préférence leur travail ne peuvent manquer de devenir propriétaires de terres qu’eux seuls s’entendent à rendre fertiles. Ils ont acquis les droits du citoyen, ils voteront, et comme ils seront les plus nombreux, c’est leur esprit qui dictera les lois. Quelle résistance alors pourront leur opposer les anciens propriétaires, déjà dépouillés et ruinés ? Quelle résistance pourront leur opposer les travailleurs de race blanche, qui se trouveront vis-à-vis d’eux dans une réelle infériorité ? Ces conditions nouvelles étant