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données, serait-il bien étonnant que nos descendans, à une date plus rapprochée qu’on ne pense, eussent le spectacle d’une république ou d’un empire nègre dans les états du sud ?

Quant à l’invasion des hommes de race jaune, c’est un fait tout récent et qui ne remonte pas plus haut que les années qui ont suivi la découverte de l’or en Californie. Ils sont là soixante mille, Chinois ou Malais, qui, renouvelant les anciennes migrations, ont abordé en Amérique par les mêmes points où leurs ancêtres pénétrèrent autrefois, et ont fixé en Californie et dans les districts de l’ouest leur séjour temporaire, séjour temporaire dans leur intention, mais qui pour la plupart devient définitif. Poussés par le besoin hors de leur pays, engagés comme coulies et travailleurs libres, ils étaient d’abord venus dans l’intention d’amasser un petit pécule et puis de s’en retourner en Orient. Les circonstances, plus fortes, les ont retenus, et le nombre de ceux qui restent ou viennent excède le nombre de ceux qui partent. Dans ces régions des mines, ils ont, comme les nègres dans le sud, une supériorité réelle sur les hommes de race blanche, c’est qu’ils sont propres à tous les genres de travaux. « Depuis le travail des mines jusqu’à la confection d’une omelette ou le repassage d’une chemise, ils sont bons pour tout travail par lequel les dollars peuvent être gagnés. Hop-chang tient une buanderie, Chi-hi sert comme cuisinier, Cum-thing est une servante pour tout faire. Souples et patiens, ces hommes jaunes, quoiqu’ils soient loin d’être robustes, recherchent âprement tout genre de travail ; mais ils préfèrent les emplois des femmes à ceux des hommes, ils sont surtout heureux quand ils sont engagés pour laver le linge, soigner les enfans, servir à table. Ils font de bons sommeliers et de bonnes femmes de chambre. Loo-sing, un joyeux vieux Chinois qui a l’air d’une vieille femme à longue queue, blanchit vos chemises, les empèse et les repasse en perfection, à ce détail près que vous ne pouvez le persuader qu’il doit se dispenser de cracher sur les poignets et les devans. À ses yeux, cracher sur le linge équivaut à y semer des gouttes d’eau, et ses habitudes à cet égard sont telles que vous auriez beau le tirer par sa queue ou lui brûler avec son fer le bout de son petit nez camus, vous ne le convaincriez pas que ce n’est pas pour vous la même chose. » Ces milliers d’hommes jaunes habitent tous, disons-nous, les mêmes régions, celles de la Californie, en sorte que, l’émigration continuant, on peut prévoir le moment où une société asiatique sera formée sur les rivages de r Océan-Pacifique. Un seul fait peut mettre obstacle à cet événement, c’est l’absence de femmes de race jaune. Ces travailleurs asiatiques partent seuls, et rarement, quand ils s’établissent, ils font venir leurs compagnes, en sorte que l’écart entre les deux sexes est dans la proportion de 1 à 18. Ainsi, sur deux points de ce vaste