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vantèrent de leurs actes, citèrent avec éloge les esclaves qui les avaient aidés à faire périr Drusus, puis se retirèrent sans que les sénateurs, atterrés, eussent murmuré autre chose que des remercîmens. Agrippine n’avait plus rien à apprendre ni à souffrir; elle se laissa elle-même mourir de faim. On dit que Tibère, pour prolonger sa vie et ses larmes, avait enjoint de lui faire prendre de force de la nourriture. Il la poursuivit de ses calomnies après sa mort, l’accusa de dévergondage, désigna publiquement Asinius Gallus comme son amant. Ce misérable empereur avait trop longtemps pâli devant une femme vaillante pour être jamais rassasié de vengeance.

C’est ainsi que les dernières espérances de liberté s’évanouirent par trois fois après avoir brillé par trois fois aux yeux des Romains. De Drusus à Germanicus, de Germanicus à Agrippine, la flamme se transmit en s’affaiblissant toujours. Avec Agrippine, la défaillance était déjà complète; mais les âmes asservies ont besoin de chimères et ne veulent point regarder en face la réalité. De bonne foi, il était difficile de demander à la petite-fille d’Auguste de souhaiter la restauration de la république ou de développer de tels sentimens dans le cœur de ses enfans. Elle aurait menti à son origine, à son sang, au génie fatal de sa race. Elle n’a trompé personne, elle ne s’est point enveloppée de voiles, elle a montré au grand jour son ambition. Séjan la peignait en deux mots : inhiantem dominationi, bouche béante devant le pouvoir. Les Romains clairvoyans le savaient et se résignaient à obéir, ils comptaient du moins sur ses vertus; mais qui sait si cette Cornélie impériale n’eût pas alors démérité ? qui peut dire que ses fils n’eussent pas été pires que Tibère? Pourquoi Néron et Drusus auraient-ils été moins vite pervertis que leur frère Caligula? Après tout, Agrippine était fille de Julie, sœur de Julie, toutes deux célèbres par leurs désordres; elle était petite-fille du triumvir Octave. Si elle se fût emparée du pouvoir, elle avait en elle trois ennemis : la violence, l’orgueil, le tempérament. Sa violence n’a pu être modérée, même par le danger; son orgueil est demeuré indomptable; son tempérament seul a été contenu, parce qu’elle vivait sous la pression de l’opinion publique et n’avait d’autre force que l’estime des citoyens. Loin de nous les calomnies de Tibère ! mais il est certain que de tels germes, comprimés par les circonstances contraires et la nécessité de conquérir les suffrages, prennent leur essor, se développent, éclatent comme une végétation luxuriante dans les sphères malsaines de la toute-puissance. Agrippine avait trop senti l’appât du pouvoir pour résister plus tard aux jouissances et au poison corrupteur qui sont en lui : elle eût été une de ces incarnations féminines du despotisme dont tous les pays et tous les temps montrent des exemples, mais