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qui n’ont jamais été plus fréquentes et plus terribles que dans l’empire romain.

Les admirateurs de Germanicus et d’Agrippine doivent donc cesser d’accuser la fortune. Grâce à l’adversité, la mémoire de Germanicus est restée pure et touchante, celle d’Agrippine héroïque et lamentable. L’un a eu trop de timidité, l’autre trop d’audace; l’un a craint d’apporter aux Romains la liberté, l’autre s’est opposée à cette marche pacifique et triomphale. Germanicus a eu l’idée sans le courage, Agrippine le courage sans l’idée : c’est pourquoi tous deux sont restés stériles dans les annales de l’humanité. Doit-on les accuser, doit-on les plaindre, malgré cette sympathie si charmante de l’histoire qui les absout? Oui certes, car, s’ils avaient eu dès le premier jour plus de générosité et de dévouement, s’ils avaient conduit la liberté depuis les bords du Rhin jusqu’à Rome, quel rôle sans pareil ! Même s’ils avaient été vaincus au pied des murs de Rome, quelle gloire! Au lieu d’une ambition éphémère, d’une popularité sans résultat, de luttes impuissantes ou de faiblesses trop expiées, ils trouvaient une incomparable grandeur, ils devenaient des génies bienfaisans; jusque dans les siècles les plus reculés, un parfum délicieux se répandait autour de leur nom; au lieu de les citer avec une indulgente pitié, tous les cœurs s’ouvraient à eux comme à des amis, et les entouraient de vénération, de tendresse, de reconnaissance, ce qui est ici-bas la consécration la plus durable et la véritable apothéose.

Ce sont les Romains surtout qu’il faut plaindre, troupeau de victimes décimé qui chaque jour méritait un peu moins d’exciter le dévouement désintéressé, et qui demeurait sous le joug sans retour, sans espoir, sans refuge, réduit à se bercer de chimères et à demander aux dieux un bon maître. Les dieux les ont exaucés avec une fidélité cruelle, comme pour mieux châtier l’abdication et la mollesse du peuple-roi. — Vos vœux sont accomplis, Romains! Ces princes que vous désiriez si ardemment, ils règnent! Ce sang adoré, il triomphe et s’est substitué au sang et au propre fils de Tibère! Cet âge d’or que vous vous êtes préparé par votre inertie et vos prières, il commence! Ces vertus héréditaires qui avaient résisté à l’adversité, elles vont être appliquées librement et souverainement! La race de Drusus et de Germanicus, vos idoles, va subir à son tour la terrible et fatale épreuve d’un pouvoir sans bornes. Voyez : c’est le fils de Germanicus, Caligula, c’est le frère de Germanicus, Claude, c’est le petit-fils de Germanicus, Néron, c’est-à-dire un fou, un imbécile et un histrion, qui vont être coup sur coup vos bourreaux et les instrumens d’une ruine politique irréparable!


BEULE.