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il avait formé une riche collection de monumens antiques et de peintures, les hôtes illustres qu’il y recevait successivement depuis les princes étrangers jusqu’à Walter Scott et Humboldt, le patronage qu’il exerçait tant sur les artistes établis à Rome que sur ceux qui, comme Mendelssohn, y séjournaient seulement quelques mois, tout contribuait à le détourner du projet d’aller ailleurs essayer d’une autre existence.

Les années un peu troublées qui suivirent 1830 ne laissèrent pas cependant de donner à réfléchir à Thorvaldsen. Ce n’était pas que la révolution accomplie en France et dont on ressentait alors le contre-coup en Italie eût offensé fort sérieusement ses affections ou ses croyances ; ce n’était pas non plus qu’il eût la moindre envie de seconder activement les progrès de l’esprit nouveau. Il avait pu à des momens donnés faire cause commune en apparence avec l’insurrection contre certains pouvoirs établis, entrer par exemple, lors du soulèvement de la Grèce, en relation avec le comité philhellénique et élever un peu plus tard aux frais de ce comité un monument à la mémoire de Byron ; mais son zèle révolutionnaire ne dépassait pas les limites de cette participation indirecte. D’un autre côté, le gouvernement sous lequel il vivait ne lui avait guère inspiré jusqu’alors que des sentimens proportionnés aux intérêts de sa propre sécurité et de son repos. Or ce qui venait de se passer et ce qui pouvait encore arriver en Italie semblait à Thorvaldsen compromettre assez gravement l’une et l’autre pour que la perspective d’un départ prochain ne répugnât plus à sa pensée. En attendant, il fallait achever les travaux commencés et prendre dès à présent quelques précautions, sinon à la manière d’Horace Vernet, qui, en cas d’un assaut contre l’Académie de France, dont il était alors directeur, rapportait gaillardement dans sa voiture des armes et des munitions de guerre, au moins à la façon d’autres artistes autour desquels quelques-uns de leurs compatriotes s’étaient groupés sans bruit. Des jours plus calmes ne tardèrent pas à venir, il est vrai, mais sans dissiper si bien les inquiétudes ou les ennuis de Thorvaldsen que celui-ci renonçât à son projet de quitter l’Italie aussitôt qu’il aurait terminé ses tâches diverses. Enfin le choléra, qui jusqu’alors avait épargné Rome, s’y déclara subitement avec une extrême violence. Thorvaldsen n’attendit plus. Il partit, mais pour rentrer le même jour dans cette ville pestiférée aux portes de laquelle les populations environnantes avaient établi une sorte de cordon sanitaire infranchissable, et le voilà pendant quelques mois encore exposé à un bien autre danger que celui qu’il avait couru ou cru courir à l’époque des agitations politiques. Au commencement d’août 1838, il s’embarquait enfin sur une frégate de l’état envoyée par le roi de Danemark tout exprès à Livourne, emportant avec lui