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l’apparition des génies que sur le retour des comètes. Il serait monstrueux d’imputer a la suffocation du despotisme la mort de dix ou douze grands artistes dont quelques-uns furent bons courtisans ; il serait grotesque de dire que les talens nouveaux, dont quelques-uns paraissent doublés d’une fière indépendance, sont le produit d’un regard olympien et d’une commande officielle.

L’autorité, même absolue, ne peut pas faire de miracles : gardons-nous de lui demander l’impossible. Souhaitons seulement qu’elle emploie avec un peu de conscience et de discernement les pouvoirs et les ressources dont elle est dépositaire. Efforçons-nous d’obtenir que les hommes chargés d’organiser l’enseignement des beaux-arts ne ruinent pas d’un coup de tête insensé la grande école de Paris, que les conservateurs de nos musées n’emploient pas leurs loisirs à dégrader les chefs-d’œuvre de Rubens et de Titien, que les encouragemens de l’état ne soient pas réservés par privilège à la médiocrité rampante, que les expositions publiques se fassent décemment, dans un immeuble approprié et réservé à cet usage, que les deniers des visiteurs soient consacrés à l’achat des œuvres les plus remarquables, et qu’une conception saugrenue comme le Faune sautant à la corde ne soit jamais coulée en bronze par ordre du ministère des beaux-arts.

Les hommes agréables et de bonne famille qui administrent par droit de conquête le département du beau ne sont pas, à proprement parler, les ennemis de la chose publique. On ne peut dire qu’ils soient tout à fait incompétens, car ils ont travaillé la peinture ou la sculpture en amateurs avec quelque succès. S’ils font beaucoup de mal et peu de bien, la faute en est à certain dandysme renouvelé du comte d’Orsay, à la prédominance de l’esprit mondain sur le sentiment artiste, à je ne sais quelle indifférence souriante et triomphale qui serait à peine excusable chez des parvenus, à certain parti-pris de laisser dire et de n’en faire qu’à sa tête, par où la préfecture des beaux-arts se rapproche de la surintendance Haussmann. M. le préfet de la Seine a un plan ; nous savons ce qu’il nous en coûte. L’administration des beaux-arts n’en a point. Elle fait et défait, juge et déjuge, prend les arrêtés qui lui plaisent et les déchire quand ils ont fait leur temps, c’est-à-dire d’une année à l’autre. C’est un petit état dans l’état, et le pouvoir personnel y est également illimité sans y être également réfléchi. Les dieux galans de cet olympe secondaire n’ont pas de prétentions à l’infaillibilité ; l’omnipotence leur suffit, mais ils y tiennent. S’ils ne dédaignent pas de varier souvent, ils entendent que leur dernière décision soit sacrée jusqu’à ce qu’ils la condamnent eux-mêmes, incapables de souffrir la contradiction, mais se contredisant à toute heure.