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Ce pouvoir, mobile comme l’onde et pourtant ferme comme un roc, est en possession de publier quand et comme il lui plaît les ouvrages de nos artistes. Après des tâtonnemens infinis, il a provisoirement résolu d’ouvrir une exposition tous les ans et de montrer aux yeux du peuple les œuvres patronnées par les succès précédens de leurs auteurs ou contrôlées par un jury électif en partie et en partie administratif. L’administration prend ses jurés où bon lui semble, parmi les hommes de bureau, les amateurs distingués et les critiques. Les artistes électeurs sont astreints, on ne sait pourquoi, à n’élire que des artistes. Ainsi manipulé, le jury a pour tâche d’admettre ou de rejeter les ouvrages des hommes nouveaux, c’est-à-dire de ceux qui n’ont jamais obtenu aucune récompense. Quiconque est porteur d’une médaille échappe à l’examen et peut exposer deux ébauches, deux rebuts d’atelier, deux péchés de sa jeunesse pu deux défaillances de sa vieillesse. En revanche, apportez trois chefs-d’œuvre, et l’administration vous priera d’en remporter un. Le nombre deux plaît aux dieux de cette catégorie ; on n’a jamais daigné dire pourquoi.

Un concours est ouvert entre les exposans qui n’ont pas obtenu trois médailles de 400 francs ou l’équivalent de ces trois médailles. Le règlement ne dit pas quelle récompense d’un ordre supérieur doit succéder à ces trois médailles « d’une seule espèce ; » mais il est sous-entendu que les médaillés sont stagiaires de la Légion d’honneur, et qu’on ne peut être décoré sans avoir mérite par plusieurs années d’assiduité trois médailles successives. Cependant, si Raphaël exposait du premier coup la Vierge à la chaise ou la Madone de Foligno, Raphaël pourrait être décoré d’emblée, parce qu’il est Italien et que les étrangers sont mieux traités par l’administration que les indigènes. Deux médailles d’honneur peuvent être décernées par un comité spécial aux deux œuvres les plus éminentes du Salon. Aux dernières nouvelles, ce comité devait être choisi par le sort, par l’administration et par l’élection, combinées le plus savamment du monde. Je ne crois pas qu’il y ait deux opinions sur l’ingéniosité byzantine de ces règlemens. Un atome de bon sens vaut mieux que tout l’esprit dépensé en dix ans par les surintendances.

Les expositions d’œuvres d’art sont bonnes, et l’on fera sagement d’en continuer la mode. Elles mettent le public en communication directe avec les artistes ; elles donnent presque instantanément la renommée et la fortune aux hommes de talent ; elles peuvent servir à propager le goût du beau dans les masses. Il est bon que le budget en avance les frais, sauf à se récupérer sur le prix des entrées et la vente du catalogue, car nos artistes, livrés à eux-mêmes, ne