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qu’on pourrait le penser, autant qu’ont réussi à le faire croire les partisans de l’ancien régime commercial, dont l’habileté a été toujours de représenter la protection comme un intérêt national, comme une tradition nationale, et c’est précisément l’un des points que le ministre des travaux publics, M. de Forcade la Roquette, a le mieux mis en relief dans son discours. Ici surtout, on pourrait le dire, c’est la liberté qui est ancienne, c’est la prohibition qui est nouvelle. Dans les vieux tarifs de Colbert, la protection n’existait que pour certaines industries particulières. Il n’y avait point de droits d’entrée sur les grains, il n’y avait que des droits fort modérés sur les laines étrangères, sur les fers, sur les bestiaux. Ce n’est pas au XVIIIe siècle que la protection a pénétré dans notre législation, c’est au contraire l’époque où la liberté commerciale est devenue une théorie et a compté des partisans, dont le plus illustre a été Turgot. Ce n’est pas non plus au commencement de la révolution, dans les premiers tarifs de 1791, que la protection a pris naissance. Elle apparaît sous l’empire avec le blocus continental, et c’est après 1814 qu’elle s’est constituée fortement ; c’est à ce moment que, par l’alliance de la grande propriété et de la grande production manufacturière, s’est fondé ce qui s’est appelé le régime protecteur, ce régime à l’abri duquel se sont groupés des intérêts assez puissans pour s’imposer à tous les gouvernemens pendant quarante ans, pour peser sur la politique, comme on l’a vu plus d’une fois sous la monarchie de juillet. C’est alors que la protection est devenue un dogme auquel il était défendu de toucher sous peine de porter atteinte au travail national, aux traditions nationales, à l’œuvre de Colbert et de Napoléon ! — Soit, dira-t-on, on vous abandonne Colbert et Napoléon, qui ne sont là que pour faire figure. La protection n’est pas si ancienne, et même elle n’est pas faite pour durer toujours ; mais elle est encore nécessaire pour laisser aux industries le temps de se développer, de grandir, de s’aguerrir au combat avec les industries étrangères. — C’est un raisonnement qui a été bon la première ou même la seconde fois qu’il s’est produit, et qui à la longue n’est plus qu’une banalité intéressée. Depuis 1828, il a reparu périodiquement pour barrer le chemin à toutes les velléités réformatrices. A consulter les industries protégées, on était bien toujours sûr de la réponse : elles représentaient le travail national, elles étaient la garantie de la vie des ouvriers, la force du pays ! La vérité est que la protection était un impôt pesant sur la masse entière des consommateurs, tandis que d’un autre côté elle devenait le plus souvent un encouragement à l’inertie pour les industries elles-mêmes. Il fallait pourtant bien « n finir. C’est ce qu’a fait la réforme de 1860. Qu’on le remarque bien du reste, cette réforme n’a été nullement une mesure radicale ; elle ne réalise que très imparfaitement les théories du libre échange. Elle s’est contentée de supprimer toute prohibition en établissant une protection