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et de la ville qui n’avaient pas été jusque-là poursuivis ; le roi y avait consenti, non toutefois sans exiger de Carcassonne et de Limoux une très forte rançon. Ensuite Clément était intervenu lui-même, selon son devoir et son droit, et, particulièrement informé par une lettre des chanoines d’Albi, des chanoines de Saint-Salvi, de l’abbé et des moines de Gaillac, que l’origine de tous les troubles de l’Albigeois était imputable aux ministres justement détestés de l’inquisition, il avait, le 13 mars 1306, envoyé dans le pays Bérenger de Frédol, cardinal-prêtre du titre des saints Nerée et Achillée, et Pierre de La Chapelle, cardinal de saint Vital, avec le mandat de visiter les prisons de Carcassonne et d’Albi, de vérifier si tant de plaintes étaient sincères, et de réformer, chemin faisant, les plus grands abus. Les cardinaux, arrivés le 15 avril à Carcassonne, commencèrent aussitôt leur enquête, et, descendus eux-mêmes dans les prisons des inquisiteurs, ils en destituèrent sur-le-champ les gardiens, prescrivant à ceux qu’ils mirent à leur place la stricte observation d’un règlement nouveau. S’étant rendus ensuite dans la ville d’Albi, ils visitèrent pareillement la prison de l’évêque et en changèrent aussi le régime ; puis, à la suite de leur enquête, le pape suspendit l’évêque d’Albi de ses fonctions pastorales, et le cardinal Bérenger de Frédol prononça l’absolution de défunt Jean de Picquigny.

Ainsi Bernard peut se dire en revenant à Carcassonne qu’il n’a pas eu de si chimériques espérances. Ce qu’il avait demandé vainement sous Benoît XI s’est fait sous Clément V. L’inquisition n’est pas encore abolie, elle possède toujours son terrible mandat, et elle en a usé durant l’absence de Bernard pour jeter en prison quelques-uns de ses anciens amis, Bérenger Fumet, Pierre et Bérenger Adhémar, Guillaume Fenassa, Pierre Tailhafer et d’autres ; mais elle est du moins contenue, son procès s’instruit, et deux cardinaux, l’un et l’autre de grand renom, se sont publiquement prononcés contre elle. Si donc Élie Patrice n’avait pas formé ce dessein insensé de précipiter les choses, si l’on n’avait pas entamé cette vaine négociation avec un prince en tutelle, qui pouvait tout vouloir, mais ne pouvait rien oser, la satisfaction des honnêtes gens ne serait pas aujourd’hui mêlée d’amers regrets, et Bernard, ayant déjà remporté sur ses adversaires un avantage signalé, n’aurait plus maintenant d’autre souci que d’achever sa victoire. Tandis qu’ayant fait sur le passé ce triste retour il recommençait à prendre confiance dans l’avenir, revoyait ses amis et leur conseillait encore quelque action commune, la scène change de nouveau. Clément V est redevenu l’ami des dominicains, qui ont combattu pour lui dans les plaines de Novare, qui ont vaincu pour lui les bandes redoutées de