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n’avaient pas d’existence propre, aux communes. « Les municipalités peuvent acheter et revendre comme individus, déclara Thouret ; les corps administratifs ne le peuvent pas. Il serait possible qu’ils vendissent au nom de la nation et pour elle, mais il ne le serait pas qu’ils établissent une propriété intermédiaire entre la nation et les particuliers. » C’est plus tard seulement que l’existence civile des départemens a été admise par la loi ; celle des arrondissemens et des cantons ne l’est pas encore.

Ce sont là des choses à rappeler aujourd’hui que la condition des communes est si peu comprise. C’est parce qu’elles sont des individus dans l’économie générale de tout état, c’est parce que leur individualité ne fut jamais décrétée par aucune loi, que les atteintes portées à leurs droits, à leur liberté naturelle, ont dans tous les temps été flétries comme des actes de violence et de spoliation. Ce fut une spoliation d’attribuer leurs biens à la caisse d’amortissement en 1813, même en leur donnant de la rente à 5 pour 100. Leurs droits essentiels n’ont pas moins été méconnus lorsqu’en 1860 on leur a imposé l’obligation de vendre leurs terres improductives. Que penserait-on de la loi qui forcerait les citoyens à vendre leurs terres ou à les cultiver ? A peine la loi organique du 14 décembre 1789 était-elle votée, que Thouret, au nom du comité de constitution, rédigeait la lumineuse instruction qui l’accompagne dans le bulletin officiel. Le législateur se commentait lui-même : la sollicitude pouvait-elle aller plus loin ? Qu’a-t-il donc manqué à la sauvegarde de la liberté municipale en France ? Ce qui a manqué à celle de nos libertés publiques, avec lesquelles elle se confond, et dont elle suivra toujours la destinée.

Avant même qu’elle n’eût donné cette puissante constitution à la commune, l’assemblée dut aviser au moyen de la faire fonctionner. Les parlemens étaient encore debout, et dans leur hostilité contre le nouvel ordre de choses ils avaient empêché l’exécution de plusieurs décrets. N’était-il pas à craindre qu’ils refusassent l’enregistrement de la loi sur l’organisation administrative, qui touchait de si près à l’organisation judiciaire ? Selon Alexandre Lameth, cela n’était que trop certain ; or il était temps de prendre un parti, car on arrivait aux premiers jours de novembre, et les parlemens allaient se réunir. Il n’y avait point à hésiter, il fallait enjoindre aux parlemens de rester provisoirement en vacances. Target appuya la motion. Un conseiller de la cour de Paris, M. Fréteau, sollicita un sursis de quelques jours pour recueillir ses idées et répondre à cette brusque proposition, qui contenait en réalité l’arrêt de mort des parlemens. Thouret fit remarquer que le sursis en cette occasion équivalait à un ajournement après la rentrée, et séance tenante il rédigea un décret qui prescrivait aux chambres des vacations de