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continuer leur service jusqu’à la nouvelle organisation judiciaire. Cette mesure ne fit qu’enflammer la colère des parlemens ; ils se jetèrent dans les bras de la royauté et refusèrent d’enregistrer tous les décrets. C’était mal finir. Les choses en vinrent à ce point qu’à Marseille la justice suivait ses anciens erremens au mépris de la nouvelle réglementation de la procédure criminelle. Mirabeau demanda qu’il fût défendu aux tribunaux de statuer tant que la nouvelle procédure ne serait pas mise à exécution, et comme un député proposait l’ajournement : « Si l’on devait vous pendre, monsieur, s’écria-t-il, proposeriez-vous l’ajournement d’un examen qui pourrait vous sauver ? Eh bien ! cinquante citoyens de Marseille peuvent être pendus tous les jours. » Cette sortie décida l’assemblée à confier l’enregistrement des décrets tout à la fois aux tribunaux, aux corps administratifs et aux municipalités ; mais il était démontré pour elle que l’ordre judiciaire devait être promptement et entièrement reconstitué. Ce fut aussitôt de ce côté que se porta son attention.


III

Le jury est très populaire en France ; les magistrats lui rendent hommage, et un de nos criminalistes les plus distingués a pu dire sans exagération qu’il était désormais la seule institution qui fût en état de supporter la responsabilité des condamnations capitales. Il a fait accepter au pays des rigueurs jugées nécessaires, parce que c’est du pays même que lui vient sa force. Est-ce là tout ce qui nous reste des travaux de l’assemblée constituante ? Notre organisation judiciaire lui appartient dans sa base, mais elle a subi certaines modifications. Les constituans voulaient une justice puissante, et, partant de ce point que la justice est elle-même un véritable pouvoir, ils s’efforcèrent de la rendre indépendante. Ce pouvoir, comme tous les autres, venait de la nation ; mais la nation devait-elle le retenir ou le déléguer ? C’est le premier point qui fut à résoudre. Bergasse avait tracé les grandes lignes du sujet dans un discours fort applaudi, et Thouret, chargé de reprendre le même travail au nom du comité de constitution, en avait fait sortir un projet d’organisation qui admettait des juges au civil et le jury au criminel. La droite attaquait dans ce projet ce qui, suivant elle, était contraire aux droits des parlemens et à ceux de la royauté ; la gauche le repoussait comme rappelant encore trop l’ancien ordre de choses. « Ce sont les parlemens dédoublés et des bailliages changés de place qu’on nous propose, » s’écria Barère. — « La décoration a été modifiée, ajoutait Chabroud, mais la scène est toujours la même. » Sur ces entrefaites, Duport, conseiller au parlement de Paris, dont