Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méprendre, s’imaginer non plus que le concile national se soit ouvert au milieu de l’indifférence générale. Rien de moins vrai. Ceux-là seuls l’affirmeront peut-être un jour qui se complairont à vouloir prendre l’histoire toute faite dans les colonnes du Moniteur. Dans le Moniteur, à peine découvre-t-on en effet de temps à autre quelques mots assez brefs et parfois inexacts sur ce qui s’est passé à l’assemblée des prélats réunis le 17 juin dans l’église de Notre-Dame. En revanche on y trouve force détails sur la session du corps législatif, que Napoléon, par une singulière coïncidence, venait précisément d’ouvrir en personne la veille même du concile. Comment les rédacteurs de la feuille gouvernementale auraient-ils pu convenablement admettre que la pensée de la France se fût assez distraite de la personne de l’empereur pour avoir, fût-ce un seul jour, tourné de préférence ses regards du côté de l’ancienne basilique de Paris, qui ne fut pas en cette occasion honorée de sa présence, plutôt que vers le palais du corps législatif, où la cour entière venait de se rendre en grande pompe? Le 16 juin 1811 à midi, le canon des Invalides avait en effet ébranlé tout Paris au moment où le cortège impérial quittait les Tuileries pour se rendre à la salle du Palais-Bourbon, et de nouveau il avait retenti quand le chef de l’état eut achevé de prononcer les derniers mots adressés du haut de son trône à ceux que la constitution d’alors appelait les représentans du pays. De l’avis des écrivains du Moniteur, voilà quelles étaient les seules paroles que la nation fût avide d’entendre. Que lui importait en comparaison tout le reste? C’est pourquoi la feuille officielle prenait grand soin de donner scrupuleusement, avec le texte du discours de Napoléon, le récit détaillé de l’enthousiasme qu’il avait partout excité sur son passage, enthousiasme si prodigieux qu’il s’était prolongé le soir sous les fenêtres de son impériale demeure, mais qui fut surtout porté à son comble « quand l’orchestre des Tuileries se mit à exécuter l’ouverture de la Clémence de Titus, le pas des Scythes de Sémiramis, terminés par le fameux vivat ! auquel se sont mêlés les cris et les applaudissemens de la foule répandue dans le jardin[1].» Après avoir entretenu le public de France et d’Europe d’incidens aussi considérables, quelle chance restait-il de l’intéresser aux affaires du concile national? Il n’y aurait probablement prêté qu’une oreille trop distraite, et par égard sans doute pour l’auguste assemblée Napoléon ordonna qu’on n’en fît pas la moindre mention. Disons la simple vérité. Le chef de l’état n’avait pas eu lieu d’être satisfait de l’impression produite sur l’opinion par les deux journées du 16 et du 17 juin 1811. La cérémonie religieuse avait éclipsé la séance législative, et ni l’une ni l’autre n’avait tourné au profit de la poli-

  1. Moniteur du 17 juin 1811.