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Unis, les Bermudes et le banc de Terre-Neuve, et d’une profondeur qui peut aller à 8 kilomètres; la France, l’Espagne et les îles britanniques reposent sur un plateau qui ne descend qu’à environ 200 mètres au-dessous de l’eau, et qui forme en quelque sorte le piédestal du continent d’Europe. L’ensemble de nos connaissances actuelles sur le lit de l’océan conduit à cette conclusion, que la mer s’approfondit graduellement vers le sud, où l’eau prédomine d’ailleurs. Le célèbre géologue Bischof croit même pouvoir admettre que le lit des mers est en moyenne aussi rapproché du centre du globe que le sont les pôles, de sorte que, sous les eaux, la terre serait parfaitement ronde-, mais cette hypothèse aurait besoin d’être démontrée d’une manière plus rigoureuse.

La nature des eaux marines, la formation des glaces, les vagues, les courans et notamment le gulf-stream, la théorie des marées, fournissent à M. Reclus les sujets d’une série de chapitres fort importans dans lesquels il s’attache non-seulement à réunir les données les plus récentes et les plus dignes de foi, mais encore à signaler une foule d’erreurs et de préjugés qui ont cours dans les livres, et qui probablement seront encore pendant longtemps répétés par les compilateurs avant d’être définitivement bannis de la science. C’est cet esprit de saine critique qui rend surtout la lecture de la Terre agréable et qui ne pourrait être assez loué. La partie consacrée à la mer se termine par deux chapitres sur les rivages, les îles et les dunes, dans lesquels l’auteur étudie d’une manière plus spéciale les modifications incessantes que la mer fait éprouver aux terres fermes qu’elle baigne de ses flots. Il démontre que la forme doucement ondulée qu’offrent aujourd’hui la plupart des côtes est un signe de vieillesse; le littoral de l’océan était certainement autrefois plus accidenté, c’est la mer elle-même qui en a remanié le contour, soit en rongeant les aspérités, soit en comblant les échancrures. Les mille fiords de la côte de Norvège se sont conservés si longtemps parce qu’ils étaient anciennement comblés par des glaces, comme le sont de nos jours les baies du Groenland. Depuis que les glaciers de la Scandinavie ont reculé dans l’intérieur des montagnes, le travail de régularisation a commencé pour la mer et les torrens; les rivières apportent leurs alluvions, empruntées aux terrains supérieurs, et la mer étale des nappes de sable ou de vase à l’entrée de ces golfes, qui ne tarderont pas à changer d’aspect. Les débris de nos falaises, emportés par les eaux, vont former dans la Mer du Nord et sur les rivages de la Hollande ces dépôts que l’on appelle les gains de flot; la mer rend à la Hollande ce qu’elle a pris à la France; mais sur d’autres points la Hollande est elle-même obligée de disputer à l’océan les lambeaux de son sol. Ces transformations s’opèrent sans trêve, sans relâche, suivant une loi immuable; en les étudiant, on pourrait prédire quel sera l’aspect des continens dans quelques siècles. La mer, que nous voyons ainsi sans cesse occupée à démolir îles et falaises pour les rebâtir ailleurs, nous semble animée et douée d’une puissante