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Eckermann ne se fût pas rencontré pour recueillir et noter les menus propos d’un homme si riche en souvenirs, en observations, si fertile en points de vue aphoristiques. Le livre de M. Ferdinand Hiller atténuera beaucoup ce regret, qui n’aurait plus aucune raison d’être dans le cas où, par la suite, un de ceux qui ont le plus vécu dans l’intimité des dernières années de Rossini, M. Vaucorbeil par exemple, viendrait joindre le chapitre de sa propre information à la somme intéressante, mais trop incomplète, des impressions du maître de chapelle allemand. On supprimerait ainsi toute solution de continuité, car les dialogues de M. Ferdinand Hiller s’arrêtent en 1856, et il est à croire que depuis cette date le brillant causeur n’avait pas chômé. Quoi qu’il en soit, ces dialogues ont leur attrait; à ceux qui ne fréquentèrent Rossini que dans ses œuvres, on peut les recommander comme une excellente photographie du maître, et ceux qui le connaissaient retrouveront là ce caractère aimable, spirituel, cette physionomie familière, paterne avec une pointe d’ironie, cet honnête et jovial bourgeois de Passy, à qui un peu moins de laisser-aller n’eût point nui.

Louis XIV ne se montrait jamais sans perruque. Il en avait pour prendre médecine et pour recevoir les ambassadeurs. Le tort de Rossini fut d’ôter trop souvent la sienne, de faire trop bon marché de sa royauté, tout en n’aimant point à voir les autres la méconnaître. On n’est pas pour rien du pays de la mortadelle et du presciuto. Cette éternelle cuisine au parmesan, dont le moindre billet de sa correspondance a le goût, se fait également trop souvent sentir dans sa musique. Le style, c’est l’homme. Il y a là tout un côté macaronique bon à mettre au cabinet. Se respecter soi-même est la première loi de ce monde, et chez un artiste cette vertu deviendrait au besoin la plus habile des spéculations. C’est en se respectant qu’on écrit la symphonie en ut mineur et l’œuvre tout entière de Beethoven, qu’on écrit le trio de Guillaume Tell, et voyez la juste rémunération des choses, et comme tout bon sentiment porte profit : ce génie, auquel trop souvent la conviction a manqué, pour lequel l’amour ne fut jamais qu’une sorte de galanterie passionnée, trouvera son vrai pathétique dans ce trio sublime de Guillaume Tell, expression immortelle du seul sentiment qui l’ait jamais profondément ému. « Il aima bien son père, » et c’est peut-être à cause de cela qu’il a fait le trio de Guillaume Tell. Est-ce que d’aventure la piété filiale aurait du bon, et faudrait-il, après tant de gorges chaudes, la prendre encore au sérieux? Ce qu’on fait en se respectant a chance de survivre, le reste est condamné d’avance. Le reste passe, c’est le rococo de l’avenir, d’un avenir de vingt ans, de trente ans tout au plus. Rossini est un des