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Ces gens que je vois circuler dans la rue, affairés et muets, combien de fois je les ai vus montant et descendant Ludgate-Hill ou Cheapside ! C’est cette même démarche si caractéristique que je croyais propre seulement au sérieux Anglais, vrai soldat du commerce, allant, d’un pas gymnastique, enseigné par la nature des choses et la discipline volontaire, à la rencontre des affaires et à l’assaut des obstacles. C’est cette même précipitation sans fièvre, ce même large pas qui mesure toujours un égal espace, cette même marche précise, exacte, directement géométrique comme celle d’un projectile lancé selon les lois mathématiques, sans inflexions, crochets, parenthèses ni temps d’arrêt. C’est une foule, et nulle part cependant on ne voit de groupes ; chaque individu marche isolé sans prêter attention à son voisin d’une minute, lequel de son côté passe en lui rendant son indifférence. La plus parfaite égalité règne entre tous ces piétons, — c’est le seul terme par lequel on puisse les désigner, — car il n’en est aucun qui semble avoir plus ou moins de temps à lui qu’un autre. La physionomie de la Cité de Londres et celle d’Hoogstraat et même de la ville entière de Rotterdam sont identiques.

Ce fait provoque la rêverie. On passe en revue toutes les affinités de caractère, tous les instincts moraux, toutes les passions et tous les sentimens qui sont communs aux deux peuples, et l’on conclut en se disant que la Hollande est une seconde Angleterre. La Hollande n’est-elle pas aussi séparée du continent que l’Angleterre ? Serrée comme elle l’est par la mer et ses grands fleuves, n’est-elle pas une sorte d’ile ? S’aperçoit-on jamais pendant un séjour en Hollande qu’on est encore sur le continent, avant d’entrer dans la Gueldre, où se fait sentir le voisinage de l’Allemagne ? Commune est la race ; non-seulement les deux peuples appartiennent à la grande souche germanique, mais ils ne sont à eux deux qu’une même branche à deux rameaux, une branche fourchue de ce tronc pour ainsi dire. Frisons et Saxons ont la même origine Scandinave, la même patrie primitive ; d’ailleurs venaient-ils tous directement des sables du Jutland, les Saxons qui envahirent l’Angleterre ? Le déluge barbare qui si longtemps inonda ce pays ne recrutait-il pas une partie de ses flots chez ces Frisons, qui furent pour les Saxons des alliés aussi inaltérables qu’ils furent pour les Francs des alliés changeans et douteux ? Commune est la langue ; il suffit d’ouvrir un livre ou un journal hollandais pour s’en apercevoir : sur dix mots hollandais, l’étranger qui ignore cette langue en retrouve six au moyen de la langue anglaise. Un savant professeur de l’université de Leyde, avec lequel j’ai eu le plaisir de m’entretenir une couple d’heures pendant mon court séjour dans cette dernière ville, M. de