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de son parti, car elle ne pouvait manquer de fournir les plus clairs indices sur les véritables dispositions du corps entier de l’épiscopat. Au début de la séance, le cardinal Fesch donna lecture d’une lettre par laquelle le grand-maître des cérémonies le prévenait que l’empereur recevrait le concile le dimanche 30 juin, Un paragraphe de cette lettre disait d’ailleurs expressément que l’adresse sur laquelle les évêques s’apprêtaient à délibérer devait être au préalable communiquée à sa majesté[1]. Ceux qui avaient conseillé cette démarche à double sens, où perçait la menace, à peine déguisée sous l’apparence d’une politesse, connaissaient fort mal à coup sûr le tempérament ordinaire des assemblées délibérantes. Jamais, si grande que soit leur complaisance, elles n’ont aimé qu’on leur mît aussi ouvertement le marché à la main. M. Duvoisin put s’en apercevoir lorsqu’il eut donné connaissance au concile de son projet d’adresse, immédiatement traduit en italien par l’un de ses collègues pour ceux des membres de l’assemblée qui ne comprenaient pas le français. Avant que la lecture n’en fût complètement finie, avant qu’aucune bouche ne se fût ouverte pour l’attaquer ou le défendre, déjà les deux ministres de l’empereur présens aux délibérations du concile avaient pu deviner, rien qu’à regarder l’attitude des quatre-vingt-quinze évêques qu’ils avaient devant eux, à quel point les choses se passeraient autrement cette fois que dans la réunion des sept commissaires de l’adresse. S’il avait naguère été si affecté de l’accueil fait au document qu’il avait avec tant de confiance élaboré de compte à demi avec le chef de l’état, combien M. Duvoisin dut souffrir davantage encore de l’épreuve que subissait alors son malencontreux travail ! Malgré tant de retouches auxquelles il lui avait fallu consentir, le confident de Napoléon put lire dans les yeux de tous les membres du concile la même expression de stupéfaction et de mécontentement qu’il avait déjà entrevue chez les membres de la commission de l’adresse, mais non plus aujourd’hui mélangée de réserve ni de crainte. Après un moment de silence assez long, et qui pesait évidemment à tout le monde, un des prélats se leva brusquement ; c’était l’évêque de Jéricho, M. de Droste, suffragant de Munster, personnage assez peu connu, même de ses collègues, qui se fit en cette occasion, comme malgré lui, l’interprète des sentimens de tous. Sans préparation, sans phrases, sans apprêt, on l’entendit demander avec impétuosité que le concile réclamât avant toutes choses « la liberté du pape. » Un bruit confus où dominait l’approbation couvrit aussitôt ses brèves paroles. Alors, d’une voix belle

  1. Mémoires sur les affaires ecclésiastiques (M. Jauffret), t. II, p. 443.