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et forte, avec cet élan de l’âme et du cœur qui, au dire de M. de Broglie, donnait à ses paroles l’accent d’une magnifique éloquence ; « Eh quoi ! messeigneurs, s’écria l’évêque de Chambéry, il n’est pas question de la liberté du pape dans l’adresse qu’on vient de nous lire ! Que faisons-nous donc ici, évêques catholiques réunis dans un concile sans pouvoir même communiquer avec notre chef ? Il faut, oui, il faut que nous demandions à l’empereur la liberté du saint-père. C’est notre droit, c’est aussi notre devoir. Nous le devons non-seulement à nous-mêmes, mais nous le devons aussi aux fidèles de nos diocèses, que dis-je ? à tous les catholiques de l’Europe et du monde entier… N’hésitons pas, allons, il le faut, allons nous jeter tous en corps aux pieds de l’empereur pour obtenir cette indispensable délivrance[1]. » Quel fut l’effet de cette vigoureuse apostrophe, ceux-là seuls peuvent le soupçonner qui ont été personnellement témoins de l’ascendant irrésistible qu’en peu de minutes un orateur peut conquérir sur l’assemblée à laquelle il s’adresse, lorsqu’il sait donner aux sentimens secrets qui en agitent tous les membres une forme vive et saisissante. L’enthousiasme était à son comble, et bientôt il devint évident que la motion de l’évêque de Chambéry, si profondément sympathique à l’immense majorité des prélats, ne pouvait être combattue en face ; personne ne l’essaya.

Pour détourner quelque peu l’entraînement qui menaçait d’emporter le vote de tous ses collègues, l’archevêque nommé de Malines, en tacticien habile qu’il était, s’efforça de soulever au sein du concile une question de dignité, et de faire appel à la susceptibilité des prélats. S’attachant aux derniers mots qui venaient d’être prononcés par l’évêque de Chambéry, il objecta qu’il ne pouvait convenir à un concile d’aller se jeter aux pieds d’un prince, quel qu’il fût. Cette diversion ne lui réussit guère. « Monsieur, repartit vivement l’évêque de Chambéry, je connais, je respecte et je saurai défendre autant que qui que ce soit la dignité épiscopale ; mais, croyez-moi, des évêques peuvent très bien se jeter aux pieds de leur souverain temporel pour obtenir la liberté de leur chef spirituel, et n’est-ce donc pas le cas dans une cause aussi grande de suivre les conseils de l’apôtre qui nous dit : Pressez à temps et à contre-temps, reprenez, suppliez, menacez ? » Puis, s’animant de plus en plus : « Comment, s’écria-t-il, le chapitre de Paris a bien pu demander la grâce de M. d’Astros, l’un de ses membres, et nous n’aurions pas, nous, le courage de demander la liberté du pape ! Et pourquoi l’empereur s’en irriterait-il ? Messeigneurs, la Divinité

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.