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qu’elle ne l’est pas, deux impressions matériellement dissemblables font naître dans l’esprit deux sensations identiques. Ce phénomène, à la fois physiologique et psychologique, n’a rien de trop étonnant, si l’on songe que notre sensibilité a des limites. Ce qui est remarquable, c’est que, si l’on recommence l’expérience avec des lignes différentes et de grandeurs variables, la différence que nous pouvons apprécier demeure toujours la même fraction de la longueur primitive, au moins jusqu’à ce qu’on arrive à des lignes qui dépassent de beaucoup celles que l’œil a coutume de comparer. Que doit-on conclure de là ? C’est que la sensibilité aux variations de grandeur devient en quelque sorte de plus en plus obtuse à mesure que les dimensions elles-mêmes augmentent ; dans l’échelle des grandeurs les plus familières à nos regards, elle se proportionne exactement à ces grandeurs mêmes. Mes yeux, qui distinguent une différence de 1 millimètre quand il s’agit de longueurs de 1 décimètre environ, ne distinguent plus qu’une différence de 2 millimètres, si les lignes que je compare se rapprochent de 2 décimètres, qu’une différence de 1 centimètre, si elles se rapprochent de 1 mètre. Quand on arrive à de très grandes lignes, la proportion appréciable s’accroît un peu, il est vrai : au lieu de 1/100e, elle devient l/95e, puis 1/90e ; mais elle n’augmente qu’avec lenteur, de telle sorte que, plus nous voyons grand, moins nous sommes capables de bien apprécier les différences de proportion.

Cette loi est d’une importance capitale et se vérifie pour toutes les sensations. Étudions-en l’application à celle de la lumière. Éclairez un tableau blanc avec deux bougies semblables, et disposez en face du tableau une baguette qui y projette deux ombres. On a ainsi le moyen de comparer deux intensités lumineuses, car, en avançant et en reculant l’une des bougies, on modifie l’une des deux ombres. On peut la reculer jusqu’à ce que cette ombre devienne invisible : elle existe toujours ; mais elle ne peut plus être perçue. En mesurant les éloignemens respectifs des deux bougies au moment où l’une des ombres s’évanouit pour l’observateur, on s’assure que l’intensité de celle-ci est encore égale à 1/100e environ de l’intensité de celle qui n’a pas varié. Il résulte clairement de cette expérience que l’œil est incapable de distinguer une différence lumineuse égale au 100e de l’intensité d’une bougie. La sensibilité de la rétine s’arrête à cette limite. Maintenant, au lieu de bougies, prenez des flammes, des sources lumineuses quelconques, et recommencez l’expérience : la proportion des deux intensités, au moment où l’une d’elles devient insaisissable, reste toujours la même ; l’œil accommode sa sensibilité aux circonstances. La proportion perceptible augmente seulement un peu quand l’intensité devient des plus vives,