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douce et calme qui précède le soir, le soleil qui penche vers son déclin après avoir embelli de ses plus chauds rayons cette journée funeste, les clartés affaiblies qui caressent la belle chevelure brune et le cou nu du condamné, qui se jouent surtout et miroitent sur la hache polie. A la paisible nuit du Siège de Corinthe succèdent les horreurs d’un carnage tel qu’aucun poète n’avait osé en décrire, à la délicieuse vêprée de Parisina une peinture implacable de la décapitation, telle qu’un grand peintre seul pourrait en atteindre l’effet. Le fatalisme de Byron est déjà là tout entier, non pas un fatalisme calme et reposé comme celui de Goethe, qui cherche dans l’ordre immuable de la nature des raisons pour se soumettre à la condition humaine, mais un fatalisme inquiet, révolté, qui aime l’orage et le délire des élémens, à qui le sourire de la création n’est souvent qu’une insulte et un défi. Voilà ce que le public n’apercevait pas encore, et ce que Macaulay peut- être n’a pas vu, quinze ans après, quand il se contentait dans son étude, qui est pourtant l’œuvre d’un maître, de constater l’infériorité des deux derniers petits poèmes : tant les transitions, les ligatures, qui font de la pensée d’un homme un organisme vivant, sont difficiles à saisir et lentes à paraître dans toute leur évidence !

La défroque du faux Byron périt dans la tempête de son mariage et de sa rupture avec celle qu’il avait épousée sans amour ni de l’un ni de l’autre côté, — mariage noué par le hasard, rupture amenée par des causes frivoles que la destruction des mémoires du poète a rendues mystérieuses. C’est ainsi qu’il se laissait pousser au sort, soutenant par orgueil ce qu’il avait dit ou fait par accident, et mettant son honneur à continuer par volonté ce qu’il avait commencé par esprit d’aventure. Le vrai Byron pourtant ne parut pas tout entier ; il jeta à la mer les bardes mensongères du Giaour de Sélim, de Conrad, de Lara, mais retint leur esprit, leur ressemblance plus ou moins exacte avec sa personne. C’est la part du factice dans les deux derniers chants de Childe-Harold.


III

Au moment le plus brillant de sa faveur, vers la fin de 1813, Byron traçait dans son journal la note suivante : « Childe-Harold n’a pas et, je le crois, n’aura jamais de conclusion. » Ces mots suffiraient pour établir que l’ébauche même des deux derniers chants n’existait pas dans son esprit quand il écrivait les deux premiers. Si cet ouvrage est une heureuse exception à ce que nous disions tout à l’heure des suites et continuations en matière de poésie, c’est que la fin est tout autre chose que le commencement.