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nationalité ne peut aboutir qu’à faire de lui, comme on peut le dire de tel poète de nos jours, un Grec ou un Romain qui s’est réveillé dans quelque université d’Angleterre. Il s’agit précisément de faire la part du naturel et de l’affectation dans cette fierté suprême ; avouons cependant que l’Angleterre, par son engouement, avait donné quelque droit au poète de la traiter de haut.

Le second Childe-Harold est sérieux ; il veut plaire sans doute, mais encore plus à lui-même qu’aux autres, et désormais l’histoire du pèlerin n’est que celle de ses pensées. Harold s’efface de plus en plus devant Byron, l’épopée devient un courant inépuisable de poésie lyrique : un Allemand dirait que cette partie du poème est toute subjective. L’amour, la liberté, la gloire, le besoin d’oubli, surtout la nature, remplissent ces deux chants, qui sont une suite de méditations poétiques. L’illustre poète français qui donna ce titre à son premier recueil ne le trouva qu’après la lecture de Childe-Harold. La nature, ce mot seul contient presque toute la philosophie du poème. L’âme de Byron, froissée, déchirée au contact des hommes, se réfugie dans ses bras, et y trouve le repos, le baume qui ne guérit pas, mais qui endort les blessures. M. de Laprade, en disant que les descriptions de Byron ne sont jamais exubérantes, a marqué sans doute une de leurs qualités principales ; que n’a-t-il ajouté qu’elles ne sont jamais idéales ni abstraites ! Non-seulement la fidélité y est la vraie source de la beauté ; mais, je le demande à l’auteur du Sentiment de la nature, cette fidélité d’imitation ne nous donne-t-elle pas la leçon dont nous avons le plus besoin ? De combien de peintures de lacs, de fleuves, de montagnes surtout, nous sommes inondés pur les poètes de notre siècle, et cependant combien il y en a peu qui pourraient servir au voyageur de guides et d’interprètes harmonieux ! Certes nous plaindrions les Saumaises futurs d’avoir à dresser la carte de tant d’excursions vagues, à trouver l’explication de tant de tableaux sans réalité connue, si nous n’étions rassurés par cette pensée que la plupart de ces toiles qui ont oublié de dire d’où elles venaient ne leur parviendront pas. Rien de plus poétique et de plus philosophique à la fois que les merveilleuses strophes de Byron qui commencent par ces mots : « je ne vis pas en moi ; mais je deviens une portion de ce qui est autour de moi… » M. de Laprade, avec raison, en a voulu enrichir son chapitre sur le poète anglais. Eh bien ! nous savons le lieu, le jour même où Byron emprunta cette page immortelle à la nature. Le lieu, c’est Genève, au bord du Rhône, dont les eaux bleues fuient comme une flèche, c’est le sein pur du lac où se calme le fleuve impétueux, comme un enfant qui criait se console dans les bras de sa mère. Ainsi le poète confond un instant son âme avec les