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objets qui l’entourent ; ainsi il repose ses douleurs au sein de la nature. Le jour est le 3 juin 1816, et le poète, qui a soin de le dire en note, ajoute qu’à cette distance le Mont-Blanc, qui éblouit ses regards, réfléchit sa tête étincelante dans le miroir des eaux. Les poètes méprisent souvent ces scrupules en fait de vérité ; mais la vérité se venge : soit qu’ils négligent de l’observer dans leur œuvre, soit qu’ils tâchent après coup de la rappeler dans leurs commentaires, dans l’un et l’autre cas, elle leur fait également défaut.

Notre cadre ne nous permet pas d’insister sur le sentiment de la nature dans Byron. Quelques mots sont pourtant indispensables pour en indiquer le caractère le plus saisissant. Nous croyons, comme M. de Laprade, que l’imagination de Byron aime à peupler les lieux d’esprits avec lesquels elle se met en rapport, Manfred en particulier justifie cette observation ; mais les poètes en général ne sont poètes qu’à la condition de sentir très vivement un aspect des choses et de négliger les autres aspects. M. de Laprade a vu surtout dans Byron ce que l’auteur de Childe-Harold a de commun avec lui. Nous n’attendions pas sans doute que l’auteur des Questions d’art et de littérature fît l’éloge de Don Juan, poème qui, sans parler de la licence des mœurs, a tous les droits de déplaire à un critique aussi décidément ennemi de l’ironie ; mais nous regrettons que les fières strophes de la fin du poème aient échappé à son attention. Après avoir salué Rome, la Niobé des nations, et visité dans les ruines l’ombre des empires qui ne sont plus, Byron prend congé d’Harold sur le mont Albain, en vue de l’océan. Ici l’insulaire reparaît ; les mêmes accords qui retentissaient au commencement font entendre à la fin leurs échos.

Yet once more let us look upon the sea.


« Encore, encore une fois jetons un regard sur la mer ! » Voilà de nouveau le Breton né aux extrémités du monde, voilà l’enfant qui se confiait tous les jours aux vagues toujours émues de la côte d’Aberdeen. Ici pourtant, ce qui me frappe le plus, ce n’est pas tant l’amour de la mer et de ses violentes caresses pour ceux qu’elle reconnaît comme siens que le sentiment de jouissance intime que produisent ses redoutables colères. La nature ne berce pas toujours l’homme dans ses bras, et le calme que Byron retrouve avec elle n’est pas un quiétisme mystique pareil à celui de Bernardin de Saint-Pierre. Elle n’est pas toujours bonne et clémente à ses enfans, et le christianisme seul nous a enseigné la docile confiance avec laquelle nous nous soumettons à ses colères. Tel n’est pas le sentiment de Byron en sa présence, et c’est là le trait