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fermement : On ne recueille jamais que ce que l’on a semé. Il y a des circonstances qui font parler les uns et taire les autres. Napoléon, qui ordinairement parlait le premier et le dernier, pendant ce temps ne disait mot ; la tête baissée, l’air attentif, il recevait la grêle de mes remontrances sans aucun signe d’impatience. Le duc de Rovigo me lançait par-dessus la tête de Napoléon des regards de surprise. Celui-ci rompit son silence en répétant plusieurs fois : « On ne recueille que ce que l’on a semé, le concordat est la plus grande faute de ma vie. » Ceci peut paraître étrange, inventé, surtout à qui n’a pas connu Napoléon ; eh bien ! à la vie et à la mort, en la présence comme en l’absence de Napoléon, je n’en retrancherai pas une syllabe[1]. »


IV

La dissolution du concile ne fît pas d’abord grand effet. Les délibérations avaient été tenues fort secrètes. Pas un journal n’avait eu permission d’en parler. Le monde ecclésiastique avait eu seul connaissance des orageuses discussions qui avaient troublé les dernières séances. Parmi les fonctionnaires les plus considérables de l’état, très peu avaient été mis au courant des obstacles imprévus que les volontés impériales avaient rencontrées au sein de la commission du message. La nouvelle de l’arrestation des trois prélats eut au contraire un retentissement énorme. Bien que les feuilles publiques eussent reçu pour ordre de n’en pas souffler mot, on ne parla guère d’autre chose pendant assez longtemps, non-seulement dans toutes les sacristies, mais aussi dans tous les salons de Paris et de la province. L’indignation, quoique contenue, était générale. Les partisans de l’empereur ne s’en exprimaient pas à voix basse autrement que ses adversaires, encore bien peu nombreux à cette époque. « Que s’est-il proposé, disaient les plus avisés, en assemblant un concile pour emprisonner ensuite ceux qui ne sont pas de son avis ? Interroger les hommes, c’est leur reconnaître le droit de se tromper. Ce. n’est pas tout d’ailleurs de dissoudre le concile, il faudrait pouvoir faire disparaître en même temps les embarras qu’il a produits ; ils sont au contraire redoublés, et c’est en définitive l’opposition qui triomphe[2]. »

  1. M. de Pradt, Histoire des Quatre Concordats, t. II, p. 496. — Dans les notes dictées à Sainte-Hélène, l’empereur a pris soin d’affirmer qu’il n’avait pas prononcé ces paroles : « le concordat est la plus grande faute de mon règne. » Nous avons eu plus d’une occasion de constater que Napoléon, par distraction, par oubli ou à dessein, était loin d’avoir dit toute la vérité dans ses mémoires. M. de Pradt, quoique ses assertions soient si positives à ce sujet, n’est pas non plus un témoin irrécusable. Le lecteur prononcera.
  2. M. de Pradt, Histoire des Quatre Concordats, t. II, p. 500.